"Copy Shop" de Virgil WIDRICH

, par  Mick Miel , popularité : 17%


Kager travaille dans un centre de photocopiage. Un matin, ce n’est plus le papier qui est photocopié mais les doubles de Kager. Histoire d’un homme qui se duplique à l’infini., Kager croise son double, puis son triple...

 Autriche 2001

 Genre : Fantastique

Mise en scène

Si Méliès a mis au point le cache/contre-cache pour multiplier ses personnages, Virgil Widrich a procédé d’une tout autre manière. Dans un premier temps, chaque plan a été tourné en vidéo et, quand il fallait que le personnage apparaisse en plusieurs exemplaires, autant de fois que nécessaire. L’essentiel était de bien repérer chaque déplacement de l’interprète dans l’espace. La plupart des plans sont fixes. Seuls trois, parmi ceux qui mettent en scène les clones, sont en mouvement. Ces trois exceptions (deux travellings arrière : l’entrée dans la boutique et le repas ; un travelling latéral : le même repas vu depuis le regard du héros) ont imposé l’usage du “Motion control”, c’est-à-dire un mouvement commandé électroniquement et donc indéfiniment répétable à l’identique. Ce travail minutieux ne concerne qu’une trentaine de plans sur les près de deux cents que comprend le film. Le plus souvent c’est le montage, par un enchaînement de champ-contrechamps, qui produit l’illusion de la multiplication du personnage dans un même espace. Une fois tous les plans enregistrés, l’image fut traitée à l’aide du logiciel “After effects” et le film monté. Ensuite, chaque image du film a été imprimée sur une imprimante laser noir et blanc. Ces quelque 17 280 (12 x 1440 images par minute) impressions furent enfin filmées une à une au banc-titre avec une caméra 35 mm. Sur la quantité d’impressions laser il arrivait que l’impression faiblisse, que le toner manque, que la feuille se froisse. Et au lieu de jeter ce matériel, le réalisateur autrichien a préféré jouer de ces accidents quitte même sans doute à en rajouter. D’où ces sautes dans l’image, ces blancs, ces scratches. Ces “défauts” surgissent de manière aléatoire le plus souvent, mais font écho aussi parfois à la diégèse. Ainsi, lorsqu’il échange des regards avec la jolie vendeuse de fleurs, une étrange déchirure semble signifier une certaine émotion (on peut pointer d’autres moments similaires).

Le film peut être vu comme le cauchemar d’un homme aliéné par son activité de photocopieur au point de rêver qu’il perd son identité, se retrouve envahi par une multitude d’autres lui-même qui le poursuivent comme des morts vivants. Mais il peut aussi nous dire que ce héros est lui-même un être de papier, copie d’une image numérique. Il ne doit son existence qu’au bon vouloir d’un metteur en scène qui inscrit son itinéraire dans un mouvement crescendo (prolifération progressive des clones, poursuite et chute) dont l’acmé final peut être vu comme un retour au début. Le cauchemar s’achève, le personnage se réveille, ad infinitum.

Mais on se méprendrait si on voulait articuler un sens absolument rationnel. Virgil Widrich affiche une dimension ludique, se joue de paradoxes qui n’ont d’autre existence que visuelle. Quand le clone arrive le premier dans la boutique, il lance la machine. Le temps s’est raccourci, l’image qui sort est celle du plan juste précédent. Un peu plus tard, il déchire une feuille et disparaît comme par enchantement. Il y a du Méliès méphistophélique chez Widrich. Mais il ne faut pas pour autant négliger l’habileté avec laquelle il maintient la distinction entre l’original et les clones. Question d’expressions de l’acteur, de vitesse de déplacement, de place dans le cadre, de raccords de regards. Virgil Widrich n’est pas qu’un truqueur, un illusionniste, il est aussi un metteur en scène.

Découpage séquentiel

 1) En surimpression avec un mécanisme de photocopieuse en mouvement, le héros se réveille, tout habillé, se lève et après une toilette très succincte, se rend à l’atelier de photocopie.

 2) 1’34". La photocopieuse n’a pas un comportement normal, elle lui happe la main, la reproduit sur le papier, puis sort des vues représentant notre héros depuis son réveil.

 3) 2’45". Après avoir débranché la machine, et rangé les clichés sous clé, il rentre chez lui où un personnage identique se réveille, se lève, se livre à une toilette sommaire devant la glace de la salle d’eau, et se retournant voit un troisième personnage identique refaire les mêmes gestes.

 4) 3"49". Pour la première fois nous voyons les doubles se rencontrer et exister véritablement en même temps à l’écran : le reflet de l’un sort du cadre du miroir, son double vu de dos l’observe... Suivi de son double, notre personnage (mais lequel ?) se rend à l’atelier, la fleuriste en voit deux.

 5) 4’34". La photocopieuse lui délivre une photo de son clone qui de la rue l’observe à travers la vitre. Il déchire la photo, le clone disparaît.

 6) 5’09". Retour à l’appartement. Par la fente de la boîte aux lettres, il assiste au réveil d’un nouveau clone.

 7) 6’40". Deux personnages effarés se toisent, un bruit, derrière le rideau, un troisième, on sonne à la porte : un quatrième...

 8) 7’11". En route pour l’atelier, il croise ses doubles qui rentrent, la fleuriste s’est également transformée en double de lui-même, une voiture le renverse, un double est au volant.

 9) 8’00". Un groupe de clones l’attend à la porte de l’atelier, tous se mettent au travail, la preuve de l’identité par la photo de la main ne sert pas à grand-chose.

 10) 9’11". Il débranche la machine, en démonte une partie et se sauve, poursuivi par ses doubles.

 11) 9’41". Retour à l’appartement, il entre par la fenêtre et trouve ses doubles attablés.

 12) 10’13". Après avoir gravis l’échelle le long de la cheminée, il découvre que ses clones le suivent.

 13) 10’45". Une marée de clones a envahi la place. Pris de vertige, il tombe dans le vide. La dernière feuille se déchire.

 14) 10’57". Générique de fin.

Pistes de travail

Faire prendre conscience de la similitude entre le cinéma (système de reproduction mécanique du réel) et une photocopieuse.

À partir d’exemples simples, bien établir le distinguo entre le “réel filmé”, sa représentation et le référent dont le spectateur est porteur.

Montrer comment le cinéma en produisant des représentations du réel duplique le monde.

Et comment Copy Shop donne à voir ce que serait une sorte de cancer du système (prolifération incontrôlée de doubles).
Quelle fonction le réalisateur accorde-t-il à son héros ? Ce dernier n’est-il pas un double de lui-même ?


Le cinéma expérimental

Faire prendre conscience que ce vocable recouvre une forme de cinéma (souvent courte) qui, comme ce film,

 travaille directement le système de représentation du cinéma,

 et fait de l’image cinématographique un matériau proche de celui qu’utilise les artistes plasticiens.

Autour du film

Le cinéma expérimental

Le cinéma expérimental n’emprunte pas les voies du romanesque. Il ne croit pas que le cinéma ait vocation à se donner comme un substitut plausible de la réalité. Il évolue dans des sphères plus marginales que les circuits des salles de cinéma.

Le cinéma expérimental a de multiples visages, a emprunté mille voies, des plus abstraites (des figures géométriques d’un Hans Richter aux pulsations colorées d’une Johanna Vaude) aux plus réalistes (de Sleep d’Andy Warhol, qui dure six heures et a pour unique sujet un homme qui dort, aux manifestations diverses filmées en Super 8 par un Sothean Nhieim). Tout un pan de ce cinéma considère la pellicule comme une matière dans un sens plastique, que l’on gratte, sur laquelle on peint, que l’on détourne. Le cinéma lettriste fut par excellence le mouvement qui a généralisé ces pratiques, depuis un Maurice Lemaître (plus d’une cinquantaine de films à son actif) jusqu’à Frédérique Devaux. Mais Len Lye et Norma McLaren ont, dès les années trente, réalisé des œuvres magistrales sans caméra, en peignant ou grattant la pellicule. Les cinéastes lettristes ont procédé ainsi sur des bandes récupérées s’inscrivant dans une tradition qualifiée de found footage. Bruce Conner, en mêlant extraits d’actualités télévisées, bouts de films pornographiques, amorces de films dans A Movie (1958), fait figure de pionnier de cette tendance. Aujourd’hui, Matthias Müller, en agençant des morceaux de films hollywoodiens, ou Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, en composant des élégies à partir de films des débuts du cinéma, prolongent ce travail de recyclage.

Ce cinéma expérimental est souvent un exercice solitaire qui l’apparente au travail des plasticiens. Il n’en demeure pas moins que ces artistes en solo ont été à l’origine de regroupements et associations d’entraides pour la diffusion et la production de leurs films. Et ces structures, comme ce cinéma dans toute sa variété, ont une histoire qu’il serait absurde de prétendre résumer en quelques formules.

Outils

Bibliographie

Sur le cinéma expérimental

 L’Avant-garde au cinéma, François Albéra, Armand Colin, 2005
(ouvrage centré sur le cinéma des années 20)

 L’Art du mouvement, Sous la direction de Jean-Michel Bouhours, Collection cinématographique du Musée National d’Art Moderne 1916-1996 - Éd. du Centre Pompidou, 1996

 Le Cinéma autrement, Dominique Noguez, Cerf 1987, collection 7ème Art

 Éloge du cinéma expérimental, Dominique Noguez, Centre Pompidou 1979, rééd. Paris Expérimental 1999

Vidéographie

 Cour(t)s de cinéma

DVD. Programme comprenant les 5 films inscrits dans le dispositif Collège au cinéma 2005/2006, ainsi que des analyses, des interviews, des fiches pédagogiques téléchargeables, et des courts métrages complémentaires.
DVD disponible au prix de 28 € dans les boutiques des CRDP et sur le site du crdp de Lyon

Le site personnel du réalisateur : nombre de renseignements sur la fabrication du film, making off, photos et story board. Le site est bilingue allemand/anglais : Virgil Widrich.

Un site Sur le cinéma expérimental offre un ensemble de référence avec de nombreux liens.

On peut trouver des “quicktime” de films expérimentaux (Fluxus, Man Ray, Richter, Schneeman, Paik, Isou, Cage, Anger,...) sur le site : ubu.com.

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