– France 1998
– Genre : Comédie Dramatique
Mise en scène
À travers le personnage de Solène, apprentie coiffeuse, Caroline Vignal dresse le portrait émouvant et mélancolique d’une adolescente mal dans sa peau qui, en changeant de coiffure, tente de se rapprocher de ses camarades de formation.
Mais, l’intérêt du film réside moins dans les faits que dans la manière dont Solène vit intérieurement la scène. D’où l’importance du point de vue de l’héroïne qui nous est donné à sentir tout au long du film grâce aux expressions discrètes de son visage et, surtout, grâce à l’orientation de son regard.
Au début du film, la jeune fille fait mine de feuilleter une revue mais, en réalité, elle observe discrètement ses camarades en train de ricaner. Le spectateur qui voit la scène de l’autre côté du miroir peut observer les coups d’œil furtifs et fuyants lancés dans la glace par la jeune fille qui guette sans oser l’affronter le regard des autres. Solène ne soucie pas tant de son propre reflet comme de l’image que les autres lui renvoient d’elle-même. Et ce n’est que lorsque la coiffeuse Jamila formule son opinion - “Ça lui va bien ” - qu’elle parvient à lever les yeux puis à échanger un sourire avec sa camarade.
C’est à partir de jeux de détails subtils dans le cadrage et la mise en scène que la réalisatrice va nous faire sentir l’évolution psychologique de Solène. Dans toute la première moitié du film qui précède le malheureux coup de ciseaux, Caroline Vignal souligne l’opposition entre la jeune fille complexée, passive, silencieuse et le groupe de pimbêches délurées, dissipées et très bruyantes. Le film s’ouvre sur un plan général. On découvre des pipelettes pouffant de rire et parlant fort qui monopolisent aussi bien la bande son que l’écran. Puis la caméra se fixe sur Solène en gros plan, le visage triste et fermé. La bande des filles apparaît désormais en arrière-plan, flou. La juxtaposition des deux plans souligne l’isolement de l’héroïne qui est d’emblée montrée à part. Le contraste est renforcé par le mutisme de Solène qui ne prononce pas un mot lorsqu’elle soumet un modèle de coiffure au professeur. On la voit ensuite de dos, épaules rentrées, face aux jeunes pimbêches extraverties qui n’ont pas la moindre envie de s’occuper de son shampoing et de faire un pas vers elle. Une fois encore Solène est en retrait. Ce n’est qu’à partir du moment où on commence à lui couper les cheveux que Jamila, la coiffeuse, va venir s’interposer entre l’arrière plan grouillant et Solène. Désormais l’espace n’est plus scindé en deux. Au début Solène est seule au premier plan, face au spectateur, dans un espace qui lui est réservé. Puis, au milieu du film, cet espace s’ouvre tout à coup. La tête enduite d’une crème rose, Solène apparaît au centre du groupe. Elle est assise au côté de ses camarades. Même si elle continue à se taire, elle commence à esquisser quelques sourires. Un premier signe d’intégration qui précède la reconnaissance finale. Si l’on compare le début et la fin du film, on s’aperçoit que Solène est parvenue à imposer à l’écran sa présence au sein du groupe. Alors que le plan général d’ouverture excluait la jeune fille du champ, le film se ferme sur un nouveau plan général où celle-ci s’éloigne avec ses camarades. Son changement de tête a mis un terme à sa solitude.
Découpage séquentiel
– 1) Générique de début, sur fond d’affiche présentant des visages de jeunes femmes avec des coiffures toutes différentes. En voix off, les élèves apprenties coiffeuses répondent à un questionnaire portant sur les zones érogènes des garçons.
– 2) 00’32". Solène en gros plan, écoute une apprentie raconter ses rêves, mais Solène a la tête ailleurs, elle songe à faire couper ses longs cheveux.
– 3) 00’58". Solène choisit sa nouvelle coiffure dans un magazine et sollicite l’assentiment de son professeur.
– 4) 01’30". Qui fait le shampooing, qui fera la coupe ?
– 5) 02’06". Premiers coups de ciseaux, bavardages et ricanements mobilisent à nouveau le petit groupe.
– 6) 03’10". Jamila attend son modèle, elle ne pourra pas finir la coupe. Solène semble à la merci de mains peu expertes.
– 7) 04’16". Cible des quolibets de ses camarades, Solène panique.
– 8) 05’40". Entouré de ses élèves, le professeur reprend les choses en main. La catastrophe semble avoir été évitée.
– 9) 06’55". Les filles reprennent leurs occupations, le professeur jette un œil sur la coupe, Jamila travaille sur son modèle.
– 10) 07’44". Solène casquée de crème rose est entourée par ses camarades qui entonnent une chanson.
– 11) 08’14". Jamila accepte de rester pour finir le brushing : c’est réussi ! Solène se trouve jolie.
– 12) 09’08". Solène et Jamila sortent, rejoignent leurs camarades, le professeur ferme la porte . Les élèves partent en chantant. Passe un train de banlieue surplombant la circulation des voitures sous la pluie.
– 13) 09’08". Générique de fin sur fond noir.
Pistes de travail
Demander aux élèves de décrire leurs réactions par rapport au personnage de Solène (son choix initial, son attitude lors des phases successives de la coupe et de la permanente...).
Essayer de comprendre ce qui a pu provoquer ces réactions :a) Jeu de l’actrice (chercher les plans significatifs de l’évolution)b) Son regard sur les autres. Ses réactions par rapport aux autres.c) Rôle des couleurs (s’intéresser particulièrement au jaune ; pourquoi le générique est-il en lettres jaunes sur fond photographique noir & blanc ?).d) Mise en scène : dessiner le plan du plateau de tournage (en fait, le salon de coiffure), puis indiquer sur ce plan les principales positions de caméra. Montrer comment sont utilisés les différents espaces. Fonction des miroirs.
Revenir à la première question (comment les élèves se sont “projetés” dans le film) et faire prendre conscience aux élèves du “travail” du film proprement dit (en fait, la mise en scène) sur ce monde particulier des apprenties coiffeuses, et sur le rôle du paraître dans nos sociétés contemporaines.
Autour du film
La femme et son image
Dans un article sur la chevelure extrait de L’obvie et l’obtus, Roland Barthes explique : « La coiffure accessoire majeur (...) est cela même par quoi l’artiste essaye sur le corps féminin les transformations dont il a besoin pour élaborer, tel un alchimiste, un objet nouveau, ni corps ni vêtement, participant néanmoins de l’un est de l’autre ». Dans Solène change de tête, la coupe de cheveux est hautement symbolique. La réalisatrice se sert de cet artifice pour montrer la métamorphose qui s’opère silencieusement chez son héroïne.
Au cinéma, les cheveux sont souvent utilisés comme signe extérieur d’une transformation intérieure. Dans Vacances romaines de William Wyler, par exemple, la jeune Princesse Anne, incarnée par Audrey Hepburn, se coupe les cheveux pour mieux renoncer au protocole rigoureux que l’étiquette lui impose. En changeant de coiffure, elle décide de devenir elle-même et ne veut plus correspondre à l’image figée et contrainte de la princesse soumise qu’elle était. Sa coupe de cheveux est aussi un moyen pour elle de rompre avec son isolement. Elle lui permet de se fondre à la masse et de disparaître dans la ville plus facilement. Grâce à ce changement physique, Anne désire s’apparenter aux jeunes femmes à la mode de son époque et pouvoir ainsi s’évader « incognito » avec son amant, le beau journaliste Joe Bradley, interprété par Gregory Peck. Dans Solène change de tête, la coiffure est aussi un moyen pour la jeune fille de changer d’apparence en vue d’être traitée différemment. Comme dans Vacances romaines, l’objectif est double. Il s’agit non seulement de couper avec une image dans laquelle les deux jeunes femmes ne se reconnaissent plus mais aussi de ressembler aux icônes de mode de leur époque pour être comme les autres. Dans Solène change de tête, le générique défile sur une série de portraits féminins qui sont autant de modèles auxquels les jeunes adolescentes aspirent à ressembler. La coiffure est un moyen de se mettre à la mode. Anne espère ainsi faire oublier qu’elle est une Princesse. Solène, quant à elle, cherche à gommer son apparence d’enfant pour mieux s’intégrer à son groupe de copines.