Le scénario de ce film, que nous allons tourner le mois prochain à Nîmes, a été réalisé pendant l’année scolaire 2017/2018 (voir le projet Le goût des autres). Pendant ces années, nous avons tenté de le faire dans les PO mais de nombreuses difficultés (obstacles au collège au début, puis des pressions venant des milieux culturels locaux nous ont obligés de le faire dans le Gard.
TOUT AU BOUT DU CHEMIN
SCENE 1 : INT.JOUR. BUREAU DE LA PSYCHOLOGUE
Dans un petit aquarium, un poisson rouge nage.
Il ressemble à Nemo, le personnage du film de Walt Disney.
Un petit garçon le regarde avec attention. Il doit avoir entre 8 et 12 ans.
Il est habillé comme un enfant normal. Sur son visage passe une expression de tristesse.
A sa droite se trouve une femme. Elle est blonde, les cheveux attachés, les yeux bleus.
Elle a l’air compatissante. La pièce est meublée de deux grandes chaises, d’une petite
table sur laquelle il y a de grandes feuilles de papier blanc avec des feutres de couleurs.
Sur une étagère ouverte se trouvent des jeux.
Aux murs, sont accrochés des affiches de films, Mickey, Cendrillon, Batman,
une grande carte du monde et des dessins d’enfants.
La femme observe attentivement le petit garçon.
LA FEMME BLONDE
Tu veux lui donner à manger ?
le petit garçon fait oui de la tête. La femme va prendre une petite boîte sur une étagère
et la lui tend. Le petit donne à manger au poisson.
LA FEMME BLONDE
Tu vois, il est très timide lui aussi…
le petit garçon continue de regarder le poisson en silence.
LA FEMME BLONDE
Viens, allons nous assoir.
Ils s’installent sur les chaises, face à face, la petite table les séparant.
LA FEMME BLONDE
Quel âge as-tu ?
le petit garçon montre dix doigts de ses mains.
LA FEMME BLONDE
Ça va à l’école ?
le petit garçon ne répond pas et se perd dans le regard de la femme.
LA FEMME BLONDE
Comment était ta vie avant ?
le petit garçon ne répond toujours pas. La femme lui tend des feutres et
une grande feuille.
LA FEMME BLONDE
Tu veux dessiner ?
le petit garçon hésite et finit par prendre les feutres et la grande feuille blanche.
Il dessine une maison grise, un grand et joli jardin tout vert avec des fleurs
de toutes les couleurs, puis, un grand Soleil tout jaune et le ciel bleu clair.
Son visage s’adoucit pendant qu’il dessine. Puis le feutre esquisse des gros
avions tout noirs, il dessine ensuite des nuages tout gris, le ciel devient triste,
et il pleut des bombes. La maison, le jardin, tout est détruit. A terre, il y a des corps
allongés. Sur son visage, les expressions ont changé et la tristesse l’a envahi.
Il dessine alors quatre personnes réunies, deux adultes,
un homme et une femme, et deux enfants, une petite fille et un garçon.
Enfin, il dessine un pistolet dirigé vers la plus petite, la fille, on distingue bien
que la balle est partie. (cette séquence « dessin » sera traitée comme un film d’animation)
La femme observe intensément pendant tout ce temps et son regard passe du
dessin au visage du petit garçon ;
LA FEMME BLONDE
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Le petit garçon repousse la feuille et se met à pleurer. (Oignon et couteau)
SCENE 2 : INT.JOUR. CAFE
Des personnes sont accoudées au comptoir et consomment en discutant vivement.
Parmi eux un vieil homme, un peu à l’écart, boit un café en lisant le journal.
Il semble être un habitué du lieu. De temps en temps, tous jettent un regard curieux
vers le petit groupe dans la salle.
Le petit garçon du début, un homme et une femme, ses parents, sont assis autour d’une
table. Au-dessus d’eux, il y a un téléviseur où passe une émission de variété.
Le petit garçon a l’air absent, il regarde dans le vide. Ses parents sont inquiets.
La femme a des cheveux longs bruns et bouclés. Elle est de taille moyenne et est
habillée d’une robe fleurie de teinte orangée. Elle a la peau mate. L’homme a les cheveux
courts bruns. Il porte un pantalon marron clair et un T-Shirt blanc. Les deux ont l’air
fatigué.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Arman, tu as fait quoi avec la psychologue ?
Le petit garçon fixe la table sans lever les yeux.
L’HOMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Elle était gentille ?
Le petit garçon hoche machinalement la tête.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Qu’est-ce qu’elle t’a fait faire ?
Le petit garçon rebaisse la tête et ne répond pas. Les parents se regardent, désespérés.
L’HOMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Est-ce que tu as faim ?
Le petit garçon fait oui de la tête. Les parents sourient. L’homme fait un signe à la serveuse.
Celle-ci arrive. Elle est grande, a la peau blafarde et des cheveux noirs corbeau relevé en
chignon strict. Ses traits sont tirés, ses sourcils froncés et son regard intransigeant.
Hautaine et teigneuse, elle n’inspire rien de bon.
LA SERVEUSE
Oui, vous avez choisi quoi ?
L’HOMME (dans un Français hésitant)
Un sandwich au poulet.
La serveuse le regarde d’un œil mauvais sans répondre. L’homme comprend qu’elle
n’a pas l’intention de faire d’effort et il désigne un plat sur la carte. La femme
s’éloigne vers le comptoir et s’adresse à quelqu’un dans les cuisines.
LA SERVEUSE (Elle prend un accent arabe approximatif)
Non pas di couscous. Un sandwich sans porc.
Les clients éclatent de rire. La serveuse est très contente d’elle. Le petit garçon relève la tête
et jette un regard noir vers le comptoir. Il croise le regard du vieil homme. Celui-ci ne rit pas
comme les autres consommateurs.
Quelques minutes plus tard, la serveuse revient avec le sandwich et le pose sans délicatesse
sur la table. Le petit garçon le prend et mange en silence mais fixe la serveuse avec
animosité. La serveuse s’en aperçoit.
LA SERVEUSE
Pourquoi tu me regardes comme ça toi ?
Sans cesser de regarder la serveuse, le petit garçon pose son sandwich sur la table et n’y
touche plus. La serveuse prend tout le monde à témoin.
LA SERVEUSE
Mais faites quelque chose. Qu’il arrête de me regarder comme ça !
L’homme et la femme baissent les yeux. Rien ne se passe. Au comptoir, les consommateurs
finissent par reprendre leur conversation du début. Le vieil homme replonge dans son
journal.
Avant de repartir, la serveuse monte le son du téléviseur manifestement pour les ennuyer.
L’émission de variété est remplacée par un débat politique. Les invités de l’émission, des
politiciens, discutent de la crise des réfugiés. Les clients du bar arrêtent à nouveau leur
conversation et leurs regards passent du téléviseur au petit groupe blotti autour de la table.
Les parents se regardent inquiets. Les clients chuchotent. On entend plus ou moins
UN CLIENT
D’abord, qu’est-ce qu’ils font eux ici ? Ils ont raison à la télé, ils n’ont rien à faire chez nous ceux-là !
UN AUTRE CLIENT
Qu’ils retournent chez eux, au bled.
La serveuse est calée derrière le comptoir et ne perd pas de l’œil le petit groupe.
Les parents de Arman se regardent.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
On s’en va ?
L’homme fait oui de la tête et se lève. La serveuse s’élance de derrière le bar et lui tend
le ticket pour payer. Il sort un billet de cinq Euros mais, manifestement, n’a pas assez.
Il cherche dans ses poches. Il n’a rien d’autre. La femme suit les gestes de son mari avec
angoisse. Le petit garçon regarde intensément la scène. La serveuse arbore un sourire
mesquin.
LA SERVEUSE
J’espère que vous avez de quoi payer, sinon, j’appelle la police !
Les parents se regardent désespérés. Le visage du petit garçon s’est fermé et il est au
bord des larmes. Le vieil homme du comptoir s’approche.
LE VIEIL HOMME
Je paie pour eux.
Il met un billet de vingt Euros dans la main de la serveuse qui le regarde avec surprise
et incompréhension.
SCENE 3 : EXT. JOUR. DEVANT L’ABRI-BUS
La famille arrive devant l’abribus. Au loin, le bus s’éloigne.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Comment on va faire ?
L’homme consulte les horaires affichés sur le panneau à l’arrière de l’abribus.
On comprend sur son visage qu’il leur faudra attendre.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
A quelle heure passe le prochain ?
L’HOMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français
Ne t’inquiète pas, on va trouver une solution. On doit attendre un peu.
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Regarde Arman, il est tout fatigué.
L’homme hausse les épaules, résigné. Un véhicule s’arrête devant eux. C’est un vieux combi
Volkswagen tout boueux. Il est cabossé avec quatre places et un grand coffre à l’arrière dans
lequel il y a des cagettes de fruits et de légumes. Le vitre descend. C’est le vieil homme du
café.
LE VIEIL HOMME
Je peux vous déposer quelque part ?
Le père s’approche du véhicule mais sa femme lui fait signe de ne pas monter. Il regarde le
vieil homme. Celui-ci lui sourit. Il hésite un peu.
L’HOMME (dans un Français hésitant)
Nous allons au Centre d’accueil des demandeurs d’asile.
LE VIEIL HOMME
Venez, c’est sur ma route. Je peux vous y déposer.
L’homme fait signe à la femme et au petit garçon de monter. Il s’installe devant, le petit
garçon derrière lui et la maman derrière le conducteur.
4 EXT. JOUR. DANS LE VEHICULE
A l’intérieur, c’est un peu le fouillis.
Devant, sur le tableau de bord, quelques vieilles photos et des bibelots, certains cassés. Le
petit garçon observe avec curiosité cet engin bizarre.
Dans un immense fracas, le vieux combi Volkswagen redémarre. Au bout de quelques
secondes un bruit anormal se fait entendre.
LE VIEIL HOMME
Ne vous inquiétez, c’est certainement une pièce qui doit se balader.
L’HOMME (dans un Français hésitant)
Hum... ça c’est la transmission qui ne demande qu’a être changée !
LE VIEIL HOMME
Vous êtes sûr ?
L’HOMME (dans un Français hésitant)
Je connais bien ce moteur, c’est un modèle réputé incassable, un modèle de 2007.
Mais il n’est plus tout neuf et, à mon avis, il n’y a pas qu’une pièce à changer…
LE VIEIL HOMME
Vous avez l’air d’en connaître un rayon en mécanique, vous, non ?
L’HOMME (dans un Français hésitant)
Vous savez ... avant, dans mon pays, j’étais garagiste…
LA FEMME (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
Tais-toi. Ça, c’était avant !
L’homme se tait. Un silence s’installe. Le vieil homme n’insiste pas mais observe le petit
garçon par le biais du rétroviseur.
LE VIEIL HOMME
Qu’est-ce qu’il a votre petit ?
L’homme et la femme ne répondent pas. Ils semblent perdus. Le vieil homme braque le
volant et s’engage sur une petite route.
LE VIEIL HOMME
Je vais vous montrer quelque chose !
La campagne défile.
LE VIEIL HOMME
Vous savez... enfant, ma famille et moi vivions à Barcelone, ... et, à ce moment
là, a éclaté la guerre.
Le petit garçon lève la tête. Par le biais du rétroviseur intérieur, il observe le vieil homme
qui cherche ses mots. Leurs regards se croisent.
LE VIEIL HOMME
Des convois ont été organisés. Toute la famille s’est précipitée dans des camions
pour partir et... et ma soeur et moi avons été séparés ... (moment de pause)...
Sur la routes, nous avons été bombardés ... le camion dans lequel se trouvait ma sœur
à été détruit et tous ses occupants sont morts. (moment de pause)...
Mes parents m’ont raconté que je ne parlais plus …
Il sourit et se tourne vers le petit garçon et sa mère.
LE VIEIL HOMME
Mais vous voyez, je suis toujours là et... je parle peut-être trop maintenant !
Le vieux combi Volkswagen s’engage dans un parking de terre.
LE VIEIL HOMME
Nous y voila ! On s’arrête ici.
SCENE 4 : INT. JOUR. CHEZ LE VIEIL HOMME
Le vieil homme sort du véhicule, suivi du père, de la mère et du petit garçon. Celui-ci,
timide, regarde la portière de façon étrange avant d’attraper la poignée et de pousser avec
difficulté. Il sort, mais n’arrive pas à fermer. Le vieux monsieur se dirige vers lui.
LE VIEIL HOMME
Tu as besoin d’aide ?
Le petit garçon fait un mouvement de la tête pour faire oui. Le vieil homme claque la
portière. Le petit groupe marche en silence. Arman avance la tête baissée, derrière se trouve
les parents. Il marche lentement en regardant le sol. Le vieil homme s’arrête et se retourne
vers lui.
LE VIEIL HOMME
Comment peux-tu voir les belles choses si tu ne relèves pas la tête pour les admirer ?
Dans un élan d’assurance, le petit garçon relève la tête et découvre le grand arbre devant la
porte de la maison. Son regard à changé, il est plus doux. Puis le vieil homme entre dans la
maison et invite Arman et ses parents à l’intérieur.
LE VIEIL HOMME
Ici on est chez moi. Je vous en prie, entrez dans le salon !
Arman suivi par ses parents entrent dans le salon. On les voit depuis la première pièce par
l’encadrement de la porte. Ils se tournent vers la gauche et ont l’air stupéfait.
Arman esquisse alors un sourire. Le vieil homme sourit également. Tout le mur du fond du
salon est un immense aquarium avec de nombreux poissons de toutes les couleurs.
Il reste immobile contemplant l’endroit avec attention et ravissement.
Les parents le regarde, perplexes.
LE PETIT GARCON (dans sa langue d’origine, sous-titré en français)
C’est beau !
Les parents se regardent surpris et le vieil homme leur sourit. Personne ne parle laissant un
calme apaisant dissiper le passé. Le visage de Arman a changé, son regard a changé.
Il est heureux.
FIN