Extrait de Cyrano de Bergerac (Edmond Rostand)

, par  Mick Miel , popularité : 4%

Un morceau d’anthologie et un vrai numéro d’acteur...

Acte 1, scène IV, "la tirade du nez"

 CYRANO, imperturbable.

C’est tout ?...

 LE VICOMTE

Mais...

 CYRANO

Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !

On pouvait dire... Oh ! Dieu !... bien des choses en somme.

En variant le ton,-par exemple, tenez :

Agressif : " Moi, Monsieur, si j’avais un tel nez,

Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! "

Amical : " Mais il doit tremper dans votre tasse !

Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! "

Descriptif : " C’est un roc ! . .. c’est un pic ! . . . c’est un cap !

Que dis-je, c’est un cap ?. .. C’est une péninsule ! "

Curieux : " De quoi sert cette oblongue capsule ?

D’écritoire, Monsieur, ou de boite à ciseaux ? "

Gracieux : " Aimez-vous à ce point les oiseaux

Que paternellement vous vous préoccupâtes

De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "

Truculent : " Ça, Monsieur, lorsque vous pétunez,

La vapeur du tabac vous sort-elle du nez

Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? "

Prévenant : " Gardez-vous, votre tête entrainée

Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "

Tendre : " Faites-lui faire un petit parasol

De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "

Pédant : " L’animal seul, Monsieur, qu’Aristophane

Appelle Hippocampelephantocamelos

Dût avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! "

Cavalier : " Quoi, I’ami, ce croc est à la mode ?

Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! ",

Emphatique : " Aucun vent ne peut, nez magistral,

T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "

Dramatique : " C’est la Mer Rouge quand il saigne ! "

Admiratif : " Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "

Lyrique : " Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "

Naïf : " Ce monument, quand le visite-t-on ? "

Respectueux : " Souffrez, Monsieur, qu’on vous salue,

C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! "

Campagnard : " He, arde ! C’est-y un nez ? Nanain !

C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! "

Militaire : " Pointez contre cavalerie ! "

Pratique : " Voulez-vous le mettre en loterie ?

Assurément, Monsieur, ce sera le gros lot ! "

Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :

" Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître

A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître ! "

Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit

Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit :

Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres,

Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres

Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot !

Eussiez-vous eu, d’ailleurs, I’invention qu’il faut

Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,

Me servir toutes ces folles plaisanteries,

Que vous n’en eussiez pas articulé le quart

De la moitié du commencement d’une, car

Je me les sers moi-même, avec assez de verve

Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.

 DE GUICHE, voulant emmener le vicomte pétrifié.

Vicomte, laissez donc !

 LE VICOMTE, suffoqué.

Ces grands airs arrogants !

Un hobereau qui... qui... n’a même pas de gants !

Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !
...

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