Photos de la représentation théâtrale au foyer de Calvisson (mars 2003)
Lysistrata, comédie d’Aristophane
Personnages :
– LYSISTRATA
– LAMPITO
– CALONICE
– MYRRHINE
LYSISTRATA, d’abord seule. - Voyez pourtant ! Si on les avait conviées au temple des plaisirs, chez Bacchus, ou Pan, ou Vénus, la foule des tambourins ne permettrait pas même de passer. Ici, aucune d’elles n’est encore arrivée, exceptée cette voisine qui sort de chez elle. Bonjour, Calonice.
CALONICE. - Bonjour, Lysistrata. Qu’est-ce donc qui te tracasse ? Quitte cet air sombre, ma petite ; ne fronce pas les sourcils, cela ne te va pas.
LYSISTRATA. - Calonice, le sang me bout dans les veines, et je souffre, pour notre sexe de voir les hommes nous regarder toutes comme des êtres malfaisants.
CALONICE. - C’est que nous le sommes, en effet, par Jupiter !
LYSISTRATA. - J’avais dit à nos amies de se trouver ici, pour délibérer sur une affaire qui n’est pas de peu d’importance : elles dorment, au lieu de venir !
CALONICE. - Elles viendront, ma chère. Il n’est pas si aisé aux femmes de sortir de la maison. L’une est occupée auprès de son mari ; l’autre réveille son esclave ; celle-ci couche son enfant, celle-là le baigne, une autre lui donne à manger.
LYSISTRATA. - Il y a des affaires plus pressantes qui les attendent.
CALONICE. - (Curieuse) Mais, ma chère Lysistrata dans quel but as-tu convoqué les femmes ? Quelle est donc cette affaire ? Est-elle grande ?
LYSISTRATA. - Elle est grande.
CALONICE. - Et est-elle grosse ? (geste...)
LYSISTRATA. - Oui, certes, elle est grosse.
CALONICE. - (malicieuse) Alors, comment se fait-il qu’elles ne soient pas toutes venues ?
LYSISTRATA. - (se rendant compte de l’allusion). Ce n’est pas ce que tu penses. Si c’était le cas, elles seraient déjà toutes arrivées. Il s’agit d’une affaire que j’ai méditée et retournée en tous sens, pendant de longues insomnies.
CALONICE. - Il faut que ce soit bien agréable, pour avoir été retourné en tous sens.
LYSISTRATA. - (Agacée) C’est si subtil que le salut de la Grèce entière est entre les mains des femmes.
CALONICE. - Entre les mains des femmes ? Il tenait donc à bien peu de chose.
LYSISTRATA. - Il dépend de nous d’assurer le sort de la république ! Toutes ensemble nous sauverons la Grèce de ces guerres civiles perpétuelles dans lesquelles s’affrontent nos cités.
CALONICE (Très surprise). - Et que veux-tu que des femmes inventent, comme idée astucieuse ou lumineuse ? Nous qui passons nos journées assises, bien fardées, bien pomponnées, avec nos petites robes couleur safran, nos manteaux droits et nos belles chaussures...
LYSISTRATA, - Eh bien, c’est ça qui va nous sauver, justement, je crois : les petites robes jaunes, les parfums, les belles chaussures, le maquillage, les petites chemises transparentes...
CALONICE. - Et de quelle manière ?
LYSISTRATA. - De telle façon qu’aucun homme ne portera plus la lance contre les autres...
CALONICE. - Par les deux déesses ! Je me ferai teindre une robe en jaune.
LYSISTRATA. - Ne s’armera du bouclier...
CALONICE. - Je mettrai une petite robe transparente.
LYSISTRATA. - Ni de l’épée.
CALONICE. - J’achèterai de belles chaussures.
LYSISTRATA. - (Triomphale) Eh bien ! les femmes ne devraient-elles pas être arrivées ?
CALONICE. Oui, certes, depuis longtemps ! Elles auraient dû voler ici.
LYSISTRATA. - Mais, hélas ! ma pauvre amie, tu verras qu’en véritables Grecques, elles feront toujours tout trop tard. Et, comme d’habitude, elles rateront le coche.
CALONICE. - Ca dépendra du cocher...
CALONICE. Mais en voici une qui arrive.
MYRRHINE. - Est-ce que je suis en retard, Lysistrata ? Que dis-tu ? Pourquoi ce silence ?
LYSISTRATA. - Je ne vais pas te féliciter, Myrrhine, d’arriver si tard pour une affaire si importante.
MYRRHINE. - C’est que, dans l’obscurité, j’ai eu de la peine à trouver ma ceinture. Mais si la chose est pressante, je suis là, parle.
LYSISTRATA. - Non ; attendons que les autres soient là.
MYRRHINE. - Tu as raison. Tiens, voici déjà Lampito qui s’avance.
LYSISTRATA. - Salut, Lampito, ma chérie. Que tu es mignonne, ma douce amie ! Quel teint frais ! Quel air de santé et de vigueur ! Tu étranglerais un taureau.
LAMPITO. - Par Castor et Pollux ! Je le crois bien ; je m’exerce au gymnase, et en sautant je me frappe du talon dans le derrière.
LYSISTRATA. - Que tu as une belle gorge
LAMPITO. - Tu me tâtes comme une victime. C’est pas tout ça ! Qui a convoqué cette assemblée de femmes ?
LYSISTRATA. - C’est moi.
LAMPITO - Dis donc ce que tu veux de nous.
LYSISTRATA. - Oui, ma chérie, à l’instant !
MYRRHINE. - Dis nous donc quelle est cette affaire si sérieuse.
LYSISTRATA. - Je vais le dire ; mais, auparavant, je veux vous poser une petite question.
MYRRHINE. - Tout ce que tu voudras.
LYSISTRATA. - Ne regrettez-vous pas que vos maris soient retenus si loin par la guerre ? (Elles se regardent étonnées) Je sais fort bien que vous avez toutes vos maris absents. (Toutes dépitées)
CALONICE - Mon mari, le malheureux !, est depuis cinq mois loin de la maison à surveiller nos ennemis.
LYSISTRATA. - Le mien y est depuis sept mois entiers !
LAMPITO. - Le mien, quand il revient de son poste, aussitôt, il reprend son bouclier et il repart.
LYSISTRATA. - Il ne nous reste pas une ombre de plaisir. Depuis des mois, je n’ai pas vu le moindre instrument propre à adoucir nos regrets. Voudriez-vous donc, si j’inventais quelque moyen, vous unir à moi pour mettre fin à la guerre ?
MYRRHINE. - Oui, par les deux déesses, dussé-je mettre ce manteau en gage, et en boire l’argent aujourd’hui même.
CALONICE. - Pour moi, je serais prête à me couper en deux et à donner la moitié de ma personne.
LAMPITO. - Et moi, je gravirais jusqu’au sommet de la montagne du Taygète, si je devais y voir la paix.
LYSISTRATA. - Bien. Je ne vais pas garder le secret plus longtemps. Nous devons, nous, les femmes... si nous voulons forcer nos maris à faire la paix... nous devons nous passer de... (elle laisse sa phrase en suspens)
MYRRHINE. - De quoi ? Dis, dis !
LYSISTRATA. - Vous le ferez ?
MYRRHINE. - On le fera, même si on doit en mourir !
LYSISTRATA. - Eh bien : nous devons... nous passer de... sexe ! (consternation générale. Lysistrata passe d’une femme à l’autre) Tu me tournes le dos ? Tu t’en vas ? Tu fais la tête ? Tu dis non ? Tu changes de couleur ? C’est une larme, ça ? Le ferez-vous, ou ne le ferez-vous pas ? Que décidez-vous ?
MYRRHINE. - Jamais, jamais je ne le ferai. Que la guerre suive son cours !
CALONICE. - Moi non plus. Que la guerre continue !
LYSISTRATA. - C’est toi qui dis cela ? Tout à l’heure tu prétendais donner la moitié de ta personne.
CALONICE. - Oui, pour tout ce que tu voudras. S’il faut passer au milieu des flammes, je suis prête à marcher ! Tout, plutôt que de se priver de sexe. Ce n’est pas possible, ma chère Lysistrata !
LYSISTRATA. - Et toi ?
MYRRHINE. - Moi aussi, j’aime mieux passer au milieu des flammes !
LYSISTRATA. - Ah, les femmes, quelle belle bande d’obsédées ! Pas étonnant qu’on écrive des pièces contre nous ! Nous ne sommes bonnes qu’à une seule chose... Eh toi Lampito ?
LAMPITO. - Par les déesses, il est bien difficile pour des femmes de dormir seules. Il faudra pourtant s’y résoudre car la paix doit passer avant tout.
LYSISTRATA. - O la plus chérie des femmes, et la seule digne de ce nom !
MYRRHINE. - Si nous nous abstenions rigoureusement de ce que tu dis, aurons-nous rapidement la paix ?
LYSISTRATA. - Certainement, par les déesses ! Si nous nous tenons chez nous, bien fardées, bien épilées, sans autre vêtement qu’une tunique fine et transparente, quelle impression feront nos attraits ? Et si alors nous résistons aux sollicitations des hommes... ils feront bientôt la paix. J’en suis certaine !
LAMPITO. - C’est vrai ça, quand Ménélas vit la gorge nue d’Hélène, il jeta son épée.
MYRRHINE. - Malheureuse, et si nos maris ne s’occupent pas de nous ?
LYSISTRATA. - Alors, on aura fait tous ces sacrifices pour rien !
MYRRHINE. - Tout cela n’est pas très convaincant. Mais s’ils nous saisissent et nous entraînent de force dans la chambre ?
LYSISTRATA. - Cramponne-toi à la porte.
MYRRHINE. - Et s’ils nous battent ?
LYSISTRATA. - Cède, mais de mauvaise grâce. Le plaisir s’évanouit quand la violence s’en mêle. Il faut les tourmenter par tous les moyens ; ils se lasseront bientôt ; car il n’y a jamais de véritable volupté pour l’homme, si la femme ne la partage.
MYRRHINE. - Je partage votre avis.
LAMPITO. - Dans nos villes, nous saurons bien décider nos maris à faire la paix. Mais, vous, comment aller vous persuader vos brutes athéniennes ?
LYSISTRATA. - Sois sans inquiétude, nous saurons bien le faire.
LAMPITO - N’y compte pas, tant qu’ils feront joujou avec leurs bateaux de guerre et qu’il garderont des sommes immenses dans le temple de Minerve.
LYSISTRATA. - J’ai pourvu aussi à ce danger ; nous nous emparerons aujourd’hui du trésor de la citadelle. Tandis que nous sommes ici à nous concerter, les femmes les plus âgées ont ordre de s’en emparer, sous le prétexte d’un sacrifice à faire.
LAMPITO. - Alors, tout ira bien, ce que tu dis m’a convaincu.
LYSISTRATA. Pourquoi donc, Lampito, ne pas nous engager au plus tôt par un serment inviolable ?
LAMPITO. - Prononce le serment ; nous jurerons ensuite.
LYSISTRATA. Tu as raison. Où est Myrhine ? Que regardes-tu ? Pose ici, devant nous, le bouclier renversé, et qu’on m’apporte les victimes.
MYRRHINE. - Lysistrata, par quel serment vas-tu donc nous engager ?
LYSISTRATA, - Tu le demandes ? Sur un bouclier noir, comme autrefois le fit Eschyle, et sur une brebis immolée.
MYRRHINE. - Mais, Lysistrata, on ne jure pas sur un bouclier, quand il s’agit de la paix !
LYSISTRATA. - Quel sera alors notre serment ?
MYRRHINE. - Si nous prenions un cheval blanc comme victime, pour l’immoler ?
LYSISTRATA. - Où trouver un cheval blanc ?
MYRRHINE. - Sur quoi jurerons-nous donc ?
LYSISTRATA. - Je vais te le dire, si tu veux. Plaçons là une grande coupe ; immolons dedans une amphore de vin de Thasos, et jurons de n’y mettre jamais d’eau.
LAMPITO. - Ah ! le beau serment ! je ne saurais dire à quel point je l’approuve.
LYSISTRATA. - Qu’on apporte une coupe et une amphore.
CALONICE. - O chères amies, quelle énorme cruche ! comme cette coupe va répandre la joie !...
LYSISTRATA. - Pose-la, et mets la main sur la victime. Persuasion souveraine, et toi, coupe de l’amitié, recevez ce sacrifice, et soyez favorables aux vœux des femmes !
MYRRHINE. Quel beau sang ! que la couleur en est vermeille !
LAMPITO. - Par Castor, il a un bouquet délicieux.
LYSISTRATA.- O femmes, laissez-moi jurer la première !
MYRRHINE. - Non, par Vénus ! il faut tirer au sort.
LYSISTRATA. - Lampito, et vous autres, mettez toutes la main sur la coupe, et répétez ensemble en votre nom ce que je vais dire ; vous ferez le même serment, et vous vous obligerez à l’observer : « Nul, ni mari, ni amant... »
Toutes ensembles
TOUTES. - "« Nul, ni mari, ni amant...."
LYSISTRATA. - Ne pourra m’approcher pour le sexe... Répétez.
TOUTES. - "Ne pourra m’approcher pour le sexe..."
MYRRHINE. - Ah ! mes genoux fléchissent Lysistrata !
LYSISTRATA. - « Je passerai ma vie à la maison, sans mâle... »
TOUTES. « Je passerai ma vie à la maison, sans mâle... »
LYSISTRATA. - Vêtue de robe légère, et parée...
TOUTES. - "Vêtue de robe légère, et parée..."
LYSISTRATA. - Afin d’exciter les désirs de mon époux.
TOUTES. - "Afin d’exciter les désirs de mon époux."
LYSISTRATA. - « Jamais je ne céderai de bon gré à mon homme »
TOUTES.- « Jamais je ne céderai de bon gré à mon homme »
LYSISTRATA. - Et s’il me prend de force malgré moi...
TOUTES. - "Et s’il me prend de force malgré moi..."
LYSISTRATA. - Je me prêterai mal et resterai inerte....
TOUTES. - Je me prêterai mal et resterai inerte....
LYSISTRATA. - Je n’élèverai pas mes pieds au plafond.
TOUTES. - "Je n’élèverai pas mes pieds au plafond."
LYSISTRATA. - « Je ne prendrai pas une pose de lionne sur une râpe à fromage...
TOUTES. - « Je ne prendrai pas une pose de lionne sur une râpe à fromage...
LYSISTRATA. - "Qu’il me soit donné de boire de ce vin, si je reste fidèle à mon serment !"
TOUTES. - "Qu’il me soit donné de boire de ce vin, si je reste fidèle à mon serment !"
LYSISTRATA. - Si je l’enfreins, que cette coupe se remplisse d’eau !
TOUTES. - "Si je l’enfreins, que cette coupe se remplisse d’eau !"
LYSISTRATA. - Le jurez-vous toutes ?
TOUTES. - Oui, nous le jurons.
LYSISTRATA. - Je vais donc sacrifier la victime.
(Elle boit.)
MYRRHINE. - Laisse-m’en un peu, ma chérie, pour cimenter désormais notre amitié.
Elles se passent la coupe...