Le Dolpo, au nord-ouest de l’Himalaya, à cinq mille mètres d’altitude, entre le Népal et le Tibet, est une région qui, du fait de son isolement, n’a subi ni l’invasion chinoise, ni celle des touristes, et demeure l’extraordinaire exemple d’un Tibet intact et vivant.
Dans un village, un homme meurt. C’est Lapka, le fils du chef de la communauté, Tinlé. Après le chagrin, le village s’interroge. Qui va maintenant conduire la caravane de yaks ? Qui va servir de père au jeune Passang ? Qui va lui apprendre à devenir chef ? Qui le conseil va-t-il désigner ?
Karma est le meilleur archer du village, le plus robuste, le plus courageux. Tout le village voudrait le voir devenir chef... sauf Tinlé, qui le déteste, l’accusant d’avoir contribué à la mort de son fils, et se méfiant de la rivalité ancestrale qui oppose son clan au sien.
Furieux de n’être pas choisi, Karma lève le camp, et emmène la caravane sur la route du pays du grain. Tous les jeunes le suivent... malgré un départ précipité et contraire à la volonté des dieux.
Pour contrer ce coup d’État, Tinlé décide de partir à sa suite. Mais les dieux l’obligent à attendre quatre jours. Résolu, aussi fougueux que son jeune rival, il emmène avec lui ses vieux compagnons, son petit-fils, sa mère, et un jeune lama inexpérimenté, son fils cadet.
Ils ont quatre jours de retard, ils marchent lentement, ils sont fatigués... Tinlé sait qu’il doit absolument rattraper Karma. L’enfance d’un chef est en jeu...
Il décide de jouer le tout pour le tout et de prendre la route des démons...
Si Tinlé y perdra la vie, il parviendra finalement à transmettre son pouvoir à Karma.
Générique
Titre original "Himalaya, l’enfance d’un chef"
Film Couleurs
Format CinémaScope (1/2,35)
Durée 1h44’
No de visa 83 030
Distribution BAC Films
Date de sortie 15 décembre 1999
Prix César de la Meilleure musique
César de la meilleur photo
Producteur Jacques Perrin (Galatée films), France 2 cinéma, La Guéville, JMH (Suisse), Antelope (G.B.) et BAC Films
Scénario Éric Valli et Olivier Dazat
Dialogues Olivier Dazat
Réalisation Éric Valli
Photo Éric Guichard (AFC), Jean-Paul Meurisse
Cadreurs Luc Drion, Claude Garnier
Son Denis Guilhem, Denis Martin, Bernard Le Roux
Montage image Marie-Josèphe Yoyotte
Montage son Gina Pignier
Musique Bruno Coulais
Interprétation
Tinlé Tinlen / Lhondup
Karma Gurgon / Kyap
Péma Lhapka / Tsamchoe
Passang / Karma Wangiel
Norbou / Karma Tensing Nyma Lama
Analyses et pistes de lecture
À la limite du documentaire et de la fiction, Eric Valli a permis à un clan népalais du Dolpo, de reconstituer leur mode de vie, leur culture à travers une belle épopée dont la succession du chef est l’enjeu.
Des groupes et des individus
À l’image du film, dont la volonté de simplicité est manifeste, les personnages ne sont ni très complexes, ni très ambigus. On connaît leur motivation, on sait ce qu’ils veulent, on devine leur destinée. Cependant, que ce soit au niveau de l’individu ou du groupe, lui-même perçu comme personnage, une ligne vient partager les identités en “simples” et “complexes”.
Le personnage-groupe
C’est un film d’hommes et c’est un film de générations. D’un côté les hommes jeunes, guidés par Karma. De l’autre, les hommes vieux, guidés par Tinlé.
Le premier groupe est homogène, sans identité particulière. C’est le village qui s’est mis en marche, et qui part faire son devoir. Son humeur, si l’on peut dire, est marquée par la crainte et la soumission. Crainte des démons, la date du départ n’ayant pas été respectée ; soumission à Karma, dont la confiance en soi et le rationalisme rassurent. Mais les problèmes sont vites éludés, et les dangers assez peu menaçants. Ils vont vite, restent solidaires, et ignorent qu’ils sont suivis.
Le second groupe, celui de Tinlé, est hétérogène. Outre son chef, l’enfant, la femme et le lama se détachent nettement. C’est la caravane à quatre têtes... Personnages physiquement faibles, victimes d’un conflit de pouvoir, ils suscitent la bienveillance, l’inquiétude, et font de ce groupe le véritable héros du film. La caravane va-t-elle abandonner ? Va-t-elle réussir à rattraper Karma ? Va-t-elle pouvoir passer le chemin des lacs ? Elle suscite le plus de questions de notre part, signe que nous nous identifions totalement à elle, et que les dangers qu’elle rencontre nous semblent graves. En outre, la présence de l’enfant casse l’urgence de la marche, en donnant au groupe l’opportunité de produire un regard différent sur le monde (esthétique, moral, pédagogique...)
Les personnages individualisés
De la même façon, les individus se regroupent de part et d’autre de cette ligne de simplicité.
Karma et Tinlé
Karma. C’est un Yak-pa, un meneur de yaks, le plus habile, le plus brave, le plus impétueux. Fils du clan adverse, il est accusé ou soupçonné par Tinlé d’être responsable de la mort de son fils. Sans lui, le film perd son moteur principal : le conflit des chefs. Sa détermination, sa sincérité, sa fougue et sa gentillesse nous le rendent d’emblée sympathique. Son pragmatisme, sa façon de refuser systématiquement les croyances, les rites, les superstitions en fait l’incarnation d’une certaine modernité. L’ambiguïté de ses motivations fait son humanité et suscite notre intérêt : veut-il prendre le pouvoir ou veut-il simplement protéger le village ? Est-il réellement responsable de la mort de Lapka ? Cherche-t-il à séduire Péma ?
Tinlé
Il est le vieux chef, meurtri par la mort de son fils. Il est droit, têtu, un peu fou. Il défend son clan autant qu’il déteste Karma. Il incarne la tradition, le respect des valeurs ancestrales, et n’hésite pas à braver l’avis de tous pour mener son projet à bien. Au fond, le spectateur sait que Tinlé et Karma sont trop similaires pour vraiment se nuire. Mais son aveuglement est tel qu’il provoque notre angoisse : jusqu’où va-t-il mettre en danger ceux qu’il aime pour nuire à celui qu’il hait ? Quand verra-t-il que l’objet de sa haine est en réalité son digne successeur ?
Passang, Péma et Norbou
Passang. Le petit-fils de Tinlé, qui plus tard sera chef. Son père mort, son grand-père lui intime l’ordre de ne plus être un enfant, de se conduire en adulte. Son esprit n’est pas troublé par le conflit que lui impose Tinlé, il réagit simplement et sincèrement. Confronté à deux archétypes d’homme, deux idéaux, il vient chercher chez chacun ce qui lui convient le mieux : la force et la protection de Karma, la sagesse et le savoir de Tinlé.
Péma
Avec l’épouse de Tinlé (Dawa), elle est la seule femme du film. Elle a épousé Lapka, mais Karma était le garçon qu’elle aimait, étant enfant. Soumise à la loi du clan, elle suit Tinlé, sans essayer d’intriguer ou de le convaincre de la bonne foi de Karma. Elle se trouve donc du côté qu’il lui a été assigné, soumise comme il se doit. Elle rejoint Karma une fois que Passang l’a reconnu comme nouveau chef de famille, et lorsqu’il décide de se soumettre à Tinlé.
Norbu
Autre personnage sans zone d’ombre. Fils cadet de Tinlé, il est entré au monastère à l’âge de huit ans. C’est un artiste qui se sait totalement incompétent pour les montagnes, mais qui connaît son devoir de fils : aider son père. Il accepte de l’accompagner par respect, et sait lui dire les mots qu’il faut pour le sortir d’une impasse ou apaiser sa colère. ll se présente rétroactivement comme narrateur, dans le prologue, et incarne - d’une certaine façon - l’oeil du réalisateur, le témoin de cette “enfance d’un chef“, celui qui vient sans juger, apte à recevoir un enseignement nouveau.
Ce qu’ils disent d’eux-mêmes...
Dans le livre de Debra Kellner (cf. Bibliographie), les personnages sont présentés avec un commentaire qui leur est attribué.
Karma : “Devant le corps de Lapka, le vieux Tinlé n’a rien dit mais il me regardait comme on regarde un assassin ; c’était écrit depuis ma naissance : j’étais celui qui tuerait son fils. Tinlé a ligué les anciens contre moi, mais un chef prend le pouvoir, on ne le lui donne jamais... Nous partons demain, à l’aube.”
Tinlé : ”Ils me croient vieux et fou. Ils parlent à voix basse derrière mon dos. Mon fils vient de mourir mais sa jeunesse est en moi... Norbou ne retournera pas au monastère, il épousera Péma, et Passang, plus tard, me succédera. Tout rentrera dans l’ordre, je le veux, la vie de notre terre est en jeu.”
Passang : “Je n’ai pas eu le temps de pleurer mon père, Tinlé n’aime pas les larmes... Ici au Dolpo, la loi de Tinlé est plus forte que celle de la nature.”
Péma : “Tinlé connaît les montagnes, sait lire la course des nuages et tracer son chemin dans la tempête, mais il ne peut rien contre l’amour que Karma et moi éprouvons depuis toujours.”
Norbu : “Mon père est venu me chercher au monastère. Chez lui, la colère l’emporte toujours sur la douleur.”
Point(s) de vue / La mise en scène
Points de vue
L’école buissonnière
Imaginons, hypothèse complètement stupide, que nous ayons vu Himalaya, l’enfance d’un chef en pensant que c’était une production américaine, écrite par cinq scénaristes professionnels hollywoodiens, tournée en décor, avec des acteurs professionnels, spécialement pour les fêtes de Noël.
Notre jugement aurait-il était le même ? Comme la réponse à une question stupide n’est pas, en soi, vraiment digne d’intérêt, demandons nous plutôt pourquoi nous avons besoin d’émettre une hypothèse pareille.
Sans doute parce que l’intérêt du film d’Éric Valli n’est ni dans l’histoire qu’on nous raconte, ni dans les paysages qu’on nous montre, ni dans les performances des acteurs, ni dans l’émotion qui nous traverse... mais bien dans l’entreprise elle-même. Autrement dit, si nous sommes intrigués, fascinés ou admiratifs de ce film, c’est surtout parce qu’il est l’oeuvre folle d’un producteur téméraire, d’un réalisateur rêveur mais acharné, d’une équipe de techniciens courageux, et de tout un peuple - les habitants du Dolpo - qui ont quitté leur occupation pour venir mimer leur vie de tous les jours en plein soleil ou sous une tempête de neige.
Le film n’est-il pas finalement l’otage du contexte dans lequel il a été réalisé ? Et notre appréciation esthétique de l’oeuvre n’est-elle pas, elle-même, l’otage de ce contexte ? Peut-on voir Himalaya, peut-on le juger, peut-on l’estimer, indépendamment de l’incroyable entreprise qui l’a rendu possible ? La réponse est non. Le film est un geste humaniste, un hommage, dit le réalisateur, à un peuple dont la culture a été préservée de la répression chinoise, et de l’invasion touristique. Peut-on juger un hommage ? Peut-on dire : ce film est mauvais, ce film est bon, quand l’intention n’est pas d’être plus ou moins bon, mais d’être juste, et de porter la mémoire d’une population ?
La seule façon adéquate de juger le film d’Éric Valli consiste à se demander s’il répond à sa propre promesse. Est-il juste ? Est-il sincère ? Honore-t-il les habitants du Dolpo ?
Qui sommes-nous, nous qui n’avons jamais conduit de yack de notre vie, pour répondre à cette question ?
Finalement, à force de nous demander comment parler de ce film, on en vient à se dire que nous ne pouvons rien en dire, puisqu’au fond, dans son essence, il ne nous concerne pas. Oui, Éric Valli nous convoque comme témoin, il a besoin de notre regard pour que la promesse faite à Tinlé ait un sens, mais cette promesse, il l’a faite à son ami, avant de se la faire à lui-même, et nous n’avons pas grand-chose à en dire, sinon que c’est une merveilleuse histoire d’amour entre deux hommes, entre deux pays, entre deux cultures, entre deux mondes.
Voilà où nous en sommes arrivés : nous aimons ce film d’un point de vue politique, parce qu’il contient - dans sa fabrication - la preuve d’une fraternité exemplaire. Parce que c’est un film de fous, de rêveurs, d’idéalistes, d’enfants, et que l’histoire du cinéma a besoin de projet de cette trempe pour respirer, et parler d’autre chose que du point de vue d’où elle s’écrit.
Mais juger Himalaya, l’enfance d’un chef d’un point de vue cinématographique, nous ne pouvons pas le faire, parce que ce film n’a finalement jamais été fait pour cela, et ne s’est probablement jamais positionné dans cette course-là. Ce serait vouloir donner une note à un enfant qui ne ferait pas partie de l’école, et dont le poème se serait glissé, par chance, dans les copies d’autres élèves. (Stéphane Malandrin)
Un western tourné à plus de 4 000 mètres
“Tourné au fin fond du Népal dans une région, le Dolpo, dont l’isolement a préservé la culture tibétaine, Himalaya, l’enfance d’un chef était un beau pari. Jacques Perrin, séduit il y a quinze ans par le projet du photographe Eric Valli, a engagé quelques-uns des millions gagnés par Microcosmos pour que cette fiction concilie l’épopée et l’ethnologie et raconte à un large public une belle histoire condamnée à disparaître : aujourd’hui encore, dans la dernière vallée qui résiste à la mondialisation, des nomades, avec leurs caravanes de yacks, franchissent l’Himalaya deux fois par an pour aller au Tibet échanger contre leurs céréales le sel qu’ils revendront dans les basses vallées du Népal. L’équipe de tournage a passé plusieurs mois à plus de 4 000 mètres d’altitude, des comédiens tibétains, exilés en Inde ou habitants du Dolpo, dont certains n’avaient jamais vu une télévision, se révèlent acteurs plausibles, les images sont à couper le souffle - ce n’est pas un hasard si Jean-Jacques Annaud avait chargé Eric Valli de tourner certains des extérieurs de Sept Ans au Tibet.
Mais cet “eastern” qu’on nous sert à Noël comme western-ramen avec les yack-pa (homme-yack) dans le rôle des cow-boys ne décolle pas. Le scénario ressemble à une pelote “made in Hollywood” des ficelles du genre. Mort du fils, amour impossible, jalousie, poursuite à suspens des caravanes de yacks, anciens contre modernes : pas un poncif ne manque. Et le réalisateur semble s’être épuisé à suivre à la lettre cette trame compliquée. Pas un détour, pas une minute hors sujet, tout ici est didactique. Dans une scène initiatique digne du Roi Lion, le grand-père, Tinlé (Thilen Lhondup, chef de village pète-sec, joue son propre rôle), dévoile à son petit-fils (Karma Wangiel, gamin du Dolpo, étonnant de naturel) les mystères de la montagne et du ciel. On apprend qu’on peut voir battre le coeur des étoiles et, tel un banal néon de Pigalle, l’étoile clignote.
Aujourd’hui au Dolpo, les nomades portent des baskets chinoises plutôt que de belles bottes de feutre, la mortalité infantile approche les 40 %, et si les étoiles y ont un éclat incomparable, elles ne clignotent pas. Aux oscars, Himalaya représentera le Népal.
Charlie Buffet, “Libération”, 15 décembre 1999.
Un devoir de mémoire
“Produit par Jacques Perrin, Himalaya, l’enfance d’un chef est une fiction filmée comme un documentaire. Pour ce “western tibétain“, Eric Valli, photographe de l’exploit et cinéaste documentariste, s’est inspiré de la vie de deux de ses amis dolpo-pas. Tourné dans des conditions très difficiles, dans le Dolpo, protégé par ses hautes montagnes de l’invasion du Tibet par la Chine, ce film ethnologique est aussi un véritable devoir de mémoire.“
Thierry Nirpot, “Le Monde”, 13 novembre 2000.
Captivant
“Une intrigue d’une simplicité délibérée donne au documentaire des airs de fiction... Là où le réalisateur plante sa caméra, la nature captive le regard.“
“Télérama”
ait rajouter pour que Himalaya soit du même genre cinématographique. Une fois l’exercice répété avec quelques élèves, faire des groupes de deux, et demander à chaque groupe d’adapter l’histoire d’Himalaya au genre cinématographique de son choix (et si Tinlé était un vampire ? Et si Karma était comme le Pierre Richard de La Chèvre, maladroit et bêta ? Et si un monstre se cachait dans la neige ? et si un extra-terrestre se cachait parmi les yaks ? etc.). Faire des lectures à voix hautes des propositions.
Les films de famille. Entre fiction et documentaire
On pourrait dire, de façon un peu grossière que l’ambition du cinéma documentaire est de filmer les gens comme des personnages de fiction, et que l’ambition du cinéma de fiction est de filmer les personnages comme des gens réels. Dans les deux cas, il s’agit de bâtir un récit, et dans les deux cas, l’homme ou la femme que l’on voit à l’image, personnage ou pas, nous intéresse moins pour la vérité qu’il incarne que pour l’émotion qu’il suscite. Finalement, le spectateur se fiche pas mal de savoir d’où vient celui ou celle qu’il voit sur l’écran pourvu qu’il puisse s’identifier à son histoire. On pleure pour l’enfant atteint de leucémie de La Vie est immense et pleine de danger (un documentaire de Denis Geerbrandt), on pleure aussi pour la petite fille malade du Petit Prince a dit (une fiction de Christine Pascal, 1991). Si le résultat est le même, il est clair pour chacun - spectateur compris - que les moyens sont différents, voire opposés. Grosso modo, l’un part de la réalité pour aller à un semblant de fiction, l’autre de la fiction pour aller à un semblant de réalité.
"Himalaya, l’enfance d’un chef" fait partie de ces films qui se construisent sur une tentative a priori impossible : partir de la réalité pour aller à une fiction “totale“ (toute l’histoire est inventée), tout en partant de la fiction pour aller à la réalité “absolue“ (tous les personnages sont authentiques). Bref, faire un documentaire qui soit un film de fiction, et dans le même mouvement, faire une fiction qui soit aussi un documentaire.
Pour cela, il utilise une règle de base assez simple : les gens jouent leur propre rôle, mais pas leur propre histoire.
On trouve, dans l’histoire du cinéma, de nombreux exemples d’un tel parti pris, dans des pays, et dans des registres très différents : film social en Inde, avec Salaam Bombay ! de Mira Nair (1988) ; films politiques avec l’oeuvre du grand maître bolivien Jorge Sanjines ; comédie en Afrique du Sud avec Les Dieux sont tombés sur la tête de Jamie Uys (1981), etc. Les premiers films des frères Lumière n’étaient-ils pas déjà, à leur façon, des oeuvres de fiction présentées comme des documents, ou l’inverse : des documents présentées comme des oeuvres de fiction ? En effet, dans L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, certains historiens du cinéma ont cru reconnaître la famille Lumière jouant son propre rôle, descendant du train, passant devant la caméra comme si de rien n’était, et interprétant finalement une action commandée par un scénario préétabli.
Dernièrement, on trouve des films comme Ressources humaines de Laurent Cantet. Mis à part le personnage principal interprété par Jalil Lasper, tous les autres personnages sont joués par des acteurs non-professionnels. La syndicaliste est une vraie syndicaliste, le chef d’entreprise un vrai chef d’entreprise, le DRH un vrai DRH, les ouvriers de vrais ouvriers, etc. Qui plus est, comme dans Himalaya, si l’histoire est née sous la plume du réalisateur et de son co-scénariste (Gilles Marchand), les dialogues et les situations ont été retravaillés, réécrits avec ces “vraies gens“, en accord avec eux et leur vécu. La grande différence entre les films de Cantet et Valli, c’est que le premier poursuit sa réflexion sur la forme cinématographique (qu’est-ce qu’une fiction ? qu’est-ce qu’un documentaire ?), tout en approfondissant son interrogation sur les rapports père/fils ; interrogation qui le travaille en tant que cinéaste depuis son premier court métrage Tous à la manif. Eric Valli, lui, semble moins filmer à partir une interrogation sur l’essence du rapport fiction/réalité, ou à partir d’un thème de prédilection, qu’à partir de son désir de rendre hommage aux gens du Dolpo.
Au fond, Eric Valli, répond très exactement au désir formulé par un des premiers critiques de l’histoire du cinéma, resté anonyme, qui signait en 1895 dans le journal “La Poste”, après une des premières séances de cinéma : “Lorsque ces appareils [les caméras] seront livrés au public, lorsque tous pourront photographier les êtres qui leur sont chers, non plus dans leur forme immobile, mais dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec la parole au bout des lèvres, la mort cessera d’être absolue.“ Ce n’est plus l’émotion esthétique qui sert de fil conducteur à l’acte créatif, mais la constitution d’une mémoire, à l’image de ce qui se développe, en petit, dans nos vidéos familiales. Si Valli s’inscrit dans une histoire du cinéma, c’est bien celle dont le fantasme est de faire reculer la mort des “êtres chers“.
Bibliographie
Sur le film :
– Himalaya, l’enfance d’un chef, Debra Kellner et Eric Valli, Ed. La Martinière, 2001.
– Himalaya, l’enfance d’un chef, Evelyne Brisou-Pellen, Ed. Pocket Jeunesse, 2000.
– Himalaya, l’enfance d’un chef, Justine Lagausie, Ed. Milan, 2000.
Sur le Népal :
– Népal, Daniel Odier, coll. "Petite planète", Ed. du Seuil, 1976.
– Himalayas, Cachemire, Népal, Bouthan, Tibet, Ed. Autrement, 1988.
– Népalcoll. "Guides bleus, Ed. Hachette Tourisme, 1998.
Vidéographie
– Himalaya, l’enfance d’un chef
Distribution ADAV n° 32 597