Le cinéma brésilien : autour du film "Central do Brazil"

, par  Mick Miel , popularité : 5%

Au Brésil, le cinéma se développe de bonne heure. Entre 1898 et 1930, 1 685 films auraient été produits (le maximum en 1910 avec 209 films, dont 144 documentaires). Le muet se prolonge au-delà de 1930 : Ganga Bruta (Humberto Mauro), un chef-d’œuvre du cinéma brésilien, est de 1933.

"O Cangaceiro", de Lima Barreto, en 1953, ouvre la voie au genre « cangaceiro », western à la brésilienne. En 1955, Nelson Pereira Dos Santos, le père du cinema novo, réalise Rio 40 Graus, premier signe avant-coureur. En 1962 débute le cinema novo, mouvement limité à Rio, mais de réputation internationale. Cannes couronne O pagador de promessas de Anselmo Duarte, mais c’est Barravento, de Glauber Rocha, maître incontesté de la nouvelle école, qui est l’événement de l’année, suivi dès 1963 par deux films hors du commun, Vidas secas (de Nelson Pereira Dos Santos), et Deus e o diabo na Terra do Sol de Glauber Rocha.

Malgré la dictature militaire, d’autres cinéastes talentueux se manifestent : c’est une véritable explosion. Mais la censure totale est établie en 1968, et le groupe éclate en 1969. Citons : Carlos Diegues (de Ganza Zumba, en 1964, à Bye Bye Brasil, en 1979), Joaquim Pedro de Andrade, Leon Hitszman, Paulo César Saraceni... Un titre domine ces annéeslà : O Dragão da Maldade contra o santo Guerreiro (Antônio das Mortes) de Glauber Rocha (1969). Le cinéma brésilien continue, mais le souffle des années soixante a disparu au profit d’un cinéma commercial, d’où émerge parfois un film à ambition artistique (Pixote, 1980, de Héctor Babenco). La société d’économie mixte Embrafilme coproduisait en 1985 environ vingt films par an. Cette même année, 91,3 millions de spectateurs ont fréquenté les mille quatre cent vingt-huit salles du Brésil avec neuf cent quatre-vingt seize films distribués (production nationale : 86 films).

(sources Encycopédia Universalis)

Place dans l’histoire du cinéma brésilien


Le “ Cinema Novo ” et le Nordeste

C’est à l’aune du néoréalisme italien que de jeunes cinéastes brésiliens s’engagent au début des années 60 dans une réflexion esthétique et économique visant à renouveler les moyens de production et les contenus d’un cinéma national vieillissant. Leur souhait est de développer une “ thématique brésilienne ” visant à interroger l’homme du peuple pour en montrer sa structure mentale, son langage et sa manière de vivre en général. Deux documentaires - Arraial do Cabo et Aruanda (1959) -, défendus auprès de la critique par Glauber Rocha, l’un des membres fondateurs du mouvement, viendront encore précipiter la révolution en cours. Violemment hostile au cinéma industriel constitué par l’axe Rio/São Paulo et attaché à un cinéma d’auteur à l’européenne, le Cinema Novo se veut avant tout une expression populaire, politique et critique à tonalité documentaire au service du peuple. Rocha résume en une phrase désormais célèbre que le cinéma se fait “ avec une idée dans la tête et une caméra à la main ”.

Leur esthétique ? À l’image de l’urgence du mouvement, ils délaissent les studios pour des décors naturels généralement pauvres, la figuration assurée par la population locale se mêle aux acteurs professionnels, le filmage se fait caméra à la main pour donner un sentiment de liberté, la lumière n’est plus filtrée pour instiller un sentiment de proximité avec la réalité, le scénario n’est plus strictement défini à l’avance d’où la part de l’improvisation, le noir et blanc est enfin systématiquement utilisé. Aussi est-ce presque naturellement que les jeunes cinéastes du Cinema Novo se tournent vers les terres rudes du Sertão. Cette terre du Nordeste est, en effet, riche en misères et fertile en mythes révolutionnaires.

Trois films différents et emblématiques de l’alliance Cinema Novo/Nordeste sortent du lot : Sécheresse de Nelson Pereira do Santos, Le Dieu noir et le diable blond de Glauber Rocha et Les Fusils de Ruy Guerra, tous trois de 1963. Le premier nous entraîne à la suite d’une famille qui fuit la région à cause d’une terrible sécheresse. Les plans longs, les dialogues réduits, la musique limitée au bruit strident d’un char à bœufs traduisent la pérennité des gestes, toujours les mêmes, dans cet éternel enfer du Sertão. Le deuxième, le plus ambitieux, synthétise en trois parties distinctes les grands thèmes fondateurs du Sertão : la terre et la misère ; le mysticisme et la religiosité ; le cangaço (banditisme social du Nordeste) et la violence. Le troisième montre la colère d’un camionneur venant au secours de paysans ruinés par une sécheresse. Alors qu’il veut leur donner à manger, il est tué par les soldats.

Cette trilogie constitue une gradation quasi militante allant du simple constat de la misère vers l’émancipation et la révolte du héros. Ses images affichent l’insatisfaction du présent, les humiliations quotidiennes et la pérennisation de l’aliénation. Fidèle à son esprit populaire, le Cinema Novo répond donc autant à une démarche esthétique qu’à un esprit politique poussant à réagir. Il faut dire qu’en ce début des années 60, sous le gouvernement Kubitschek, l’idéologie du développement prédomine et le Cinema Novo entend bien participer en tant que force subversive à la prise de conscience d’un potentiel de révolte populaire.

L’après “ Cinema Novo ”
Dès son arrivée au pouvoir en 1990, le gouvernement Collor supprime les aides à la production et à la distribution, ferme le ministère de la Culture, dissout Embrafilme (l’équivalent de notre CNC) et gèle les dépôts bancaires. De plus, fait unique en Amérique latine, la télévision n’intervient pas dans la production cinématographique nationale. La production tombe à zéro.

Fin 92 : la mairie de Rio crée la Riofilme, chargée de distribuer les films et d’aider à la production. Une nouvelle loi sur l’audiovisuel est votée pour 10 ans en 1993 permettant aux distributeurs étrangers installés au Brésil et aux entreprises nationales un abattement d’une partie de leurs impôts en coproduisant des films brésiliens. Et TV Globo, via sa filiale cinéma (Globo Filmes), entre en 1999 dans la production cinématographique. Le nombre de films brésiliens distribués atteint une trentaine en 1998.

Comme leurs aînés du Cinema Novo, les nouveaux cinéastes brésiliens aux styles très différents ont placé le visage de l’homme au centre de leurs préoccupations.

Certains films se tournent vers la représentation historique de la colonisation (Carlota Joaquina de Carla Camurati, 1994 ; O Quatrilho de Fabio Barreto, 1995), la relecture des années de dictature (La Marca de Silvio rezende, 1994 ; Four Days in September de Bruno Barreto, 1997 ; Ação entre amigos de Beto Brant, 1998) ou encore la mise en scène des années mouvementées du cangaço (Corisco e Dada de Rosemberg Cariry, 1996 ; Baile perfumado de Paul Caldas et Lirio Ferreira, 1997 ; O cangaceiro de Aníbal Massaini, 1997). Toutes ces œuvres ont en commun la volonté de comprendre le sens et la nécessité de l’engagement politique. Ils instaurent souvent un dialogue entre le présent et un passé souvent violent comme Terre lointaine. Une constante se révèle aussi : la fragmentation de la narration où se mêlent fiction et documentaire comme c’est encore le cas avec Terre lointaine, O Sertão das memórias (José Araújo, 1996) ou L’Huître et le vent (Walter Lima Jr, 1997), des longs métrages où le nombre des problèmes dispute la volonté d’en débrouiller la complexité. Certains films utilisent la présence de personnages-conteurs (Corisco e Dadà, O Cangaceiro, Carlota Joaquina) pour souligner la nécessité de raconter et de construire un espace de la mémoire historique afin que s’énonce la souffrance et s’élaborent des éléments de réponses affectives.

La violence est également présente dans beaucoup de ces nouveaux films. C’est ici les années d’affrontement avec Baile perfumado de Caldas et Lirio Ferreira (1997) ou Os Matadores de Beto Brant (1997) qui explorent un territoire frontalier entre le Brésil et le Paraguay, espace de tueurs où aucune loi n’a cours. La violence encore dans Como nascem os anjos de Murilo Salles (1998), un thriller qui dénonce un pays des extrêmes (opulence/misère) engendrant amertume et frustration.

Deux raisons majeures expliquent la présence du Nordeste dans le cinéma actuel : la décentralisation de l’axe Rio/São Paulo avec l’émergence simultanée de cinéastes nordestins et l’impact formidable de Central do Brasil sur l’ensemble de la population. Corisco e Dadá souligne, à travers l’histoire pleine de colère d’un homme rebelle poursuivi par des propriétaires terriens, l’interdépendance entre l’homme et la nature dans le Sertão. O Sertão das memorias souligne l’immuabilité de la vie d’un couple de paysans du Sertão (la terre éternelle) que le monde moderne (représenté par des antennes paraboliques et des hommes politiques en campagne) ne peut atteindre.

Enfin, A Guerra de canudos de Sérgio Rezende se situe à la croisée des chemins de ces trois grandes thématiques - Histoire, violence et Nordeste - du nouveau cinéma brésilien. Le film traite de la répression sanglante du chef religieux Antonio Conselheiro et de ses adeptes.

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