Nouvelle écrite par Thomas Malfray
Quelques temps plus tard je fus amené à revenir dans le ville d’Ille-sur-Têt. En effet, on m’avait invité à venir examiner la chapelle de Casenoves (qui était non loin d’Ille-sur-Têt). Je devais trouver un logement, je me promenais près de l’Hospice d’Ille, je longeais le cimetière de l’église de la Rodona. Je rencontrai alors une vieille Catalane. Nous discutâmes un certain temps, je ne voyais plus le temps passer, cette femme était une encyclopédie parlante, vous savez elle est ce style de vielle personne aux 100 anecdotes. Je lui racontai la cause de ma venue et mon souci de logement. Elle me proposa une solution à un prix fort raisonnable. Elle m’emmena vers sa demeure, rue Sainte Barbe. J’acceptai son offre avec plaisir. Elle me laissa faire un peu de rangement, dans ce qui serait ma chambre, puis vint l’heure du repas. C’était une chambre.. simple.
Elle me servit des plats purement catalans, du "pan con tomate", cela consistait tout simplement à frotter un peu d’ail et un peu de tomate sur une tranche de pain, quoi de plus simple ? Le repas fut bientôt terminé lorsque je vis mon hôtesse arriver avec une "crema catalana", vous l’aurez aussitôt compris, c’était une crème brûlée ! Somptueuse !
J’entendis la cloche sonner, un son plutôt lugubre et sombre, cela faisait vibrer les murs. La vieille femme me raconta alors que depuis que la nouvelle cloche était installée dans la ville, cette dernière était maudite ! Je me rappelais de ce que m’avait dit M. De Peyrehorade : que les vendanges furent très mauvaises l’année où on avait monté la nouvelle cloche.
Je sortis ma tête de la fenêtre, à ma droite, je voyais les ombres des pierres tombales, il me sembla voir une silhouette bouger. Ce cimetière m’intriguait, nul doute, je voyais comme une ombre de femme ! Sûrement le souvenir de la Vénus de mon ami de Peyrehorade me direz-vous ! Non, je devais halluciner, sûrement à cause du vin que m’avait offert ma logeuse. Je montai me coucher. Et étant fatigué je m’endormis d’un coup. Ma nuit fut peuplée de cauchemars en tout genre.
Le lendemain, je fis un tour dans la ville d’Ille qui, je dois l’avouer, avait beaucoup de charme. L’Église de la Rodona étaient magnifique, quand à l’Église Saint-Etienne, Magique, avec un grand "M". Je me remis à marcher, j’arrivais devant l’auberge de Montousset, ah... tant de nostalgie & de souvenirs, elle n’avait pas changé.
L’heure du déjeuner arriva, je me hâtai donc dans mon logis. "Bonjour ma chère dame, hier soir, vous me parliez de votre si belle ville, vous souvenez-vous ? Connaissez-vous l’histoire de la Vénus ? demandai-je à ma logeuse.
Évidemment, une riche famille d’Ille, la famille de Peyrehorade eut une soit-disante malédiction, me répondit-elle d’un ton assuré.
Vous m’avez l’air de bien connaître cette histoire, sans vouloir paraître indiscret, comment cela se fait-il ?
Si je les connais ! Évidemment ! J’ai travaillé pour eux pendant de longues années ! Je me souviens de la pauvre femme de ce bougre d’Alphonse ! Et puis vous savez, Ille n’est pas grand. Tout se sait. Où pourrai-je retrouver la veuve d’Alphonse ?
Vous savez, elle n’aime pas recevoir des visites, depuis la mort de son mari la pauvre fille dépérit. Vous pourrez la voir près de la maison du comte, ou dans le cimetière, sur la tombe de son mari... Mais, je ne vous garantis pas que vous la reconnaîtriez .
Ah !... - je ne voyais pas ce qu’elle voulait dire- je vous remercie"
Je ne sais pourquoi mais il était important que je revois cette femme. Alors, une fois après avoir dîné, je retournai dans le ville d’Ille qui, je dois l’avouer, m’attirait grandement. Je longeai les remparts pour arriver à la maison du comte, belle bâtisse. On arrivait par un petit porche, on montait de vieux escaliers en pierre, de vieilles colonnes en marbre rose (que je reconnus aussitôt et qui me rappelait celui du prieuré de Serrabone). Non loin de cette maison, je vis une silhouette au pas étrange, un peu ... mécanique et lourd.
L’ayant assez vite rattrapé, j’engageai la discussion :
"Bonjour chère madame, où puis trouver Madame la veuve d’Alphonse de Peyrehorade ?
C’est moi-même. Dites-moi, votre visage m’est familier. Ne seriez-vous pas Mr..... L’ami de mon beau-père présent lors des si funestes événements ?" Je lui souris alors. Soudain, la cloche retentit, et je la vis se cacher le visage. Juste après, elle retira ses mains. J’étais outré par ce qui venait de se produire. Un sentiment, une vision, un spectacle étrange. En effet, je voyais son visage déjà gris, noircir encore plus que précédemment. Je crus même voir des reflets verdâtres.
Je m’agitais je ne comprenais pas ce qu’il lui arrivait, j’avais peur pour elle.
"Madame, comment vous sentez-vous ? Vous avez besoin d’aide ?" Je m’agitais je ne comprenais pas ce qu’il lui arrivait, j’avais peur pour elle.
Vous savez, je n’aime pas que les gens me voient ainsi, je me sens humiliée, ridiculisée.. Je ne sais par quelle malédiction, mais dès que la cloche sonne, mon teint noircit et se durcit. Ma respiration se fait lente. Elle fit une pause. Je crois qu’un mauvais sort s’est abattu sur notre famille, et comme la peste le ferait, ne nous lâche pas."
Elle éclata en pleurs dans mes bras, je ne savais que dire, que faire, ou que penser. Par empathie je la comprenais... J’aurais aimé aider cette pauvre femme, mais comment ? Comment faire ? La voir dépérir, se sentir impuissant, je ne sais par quel mouvement naturel je refermai mes bras sur elle. Nous restâmes ainsi un assez long moment. Elle me convia à entrer chez elle, à chaque coup de cloche, ce sentiment d’impuissance me revenait quand je la voyais s’assombrir. Elle me raccompagna alors que le crépuscule s’installait et se répandait dans toute la ville. Nous nous racontions des banalités, lorsque les coups de cloches sombres et lugubres retentirent une fois de plus et faisaient souffrir la femme.
Tout à coup, je ne sentis plus son souffle. Je ne voyais plus son thorax faire le mouvement de la respiration, elle ne bougeait plus. J’avançai lentement vers elle. Les secondes paraissaient des heures. Et les heures paraissaient des jours. Je posai le plus délicatement la main sur son épaule. Elle était glaciale. Jamais je n’arriverais à traduire le sentiment que me procurait la vision de cette pauvre femme. Son corps était froid, vert. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange. Dédain, ironie, cruauté se lisaient sur son visage. Je ne savais pas pourquoi je m’attachais tant à cette femme, devenue Vénus. Je crus ressentir une émotion sortant de ce corps inerte, ce n’était non pas de l’amour, mais presque, je m’étais attaché à cette femme, plus par empathie et compassion que par amitié. Elle était morte.
En retournant à Paris je reçus une lettre disant qu’on glissait la nouvelle Vénus dans le caveau familial. Quant à la cloche maudite, on la fit descendre puis couler. On me raconta aussi qu’on l’a vendit le plus vite possible, sans raconter son histoire.
Qui sait ce qu’il se passera avec la nouvelle Vénus, peut-être qu’un jour elle reviendra semer le trouble dans la petite ville d’Ille-sur-Têt.