Chapitre 2 Cadeaux

, par  Annick Hugon, Cécile Chauvelot, Mick Miel , popularité : 7%

 Alizée, descends déjeuner !

De la cuisine, monte une délicieuse odeur. La pâte que maman a mise à lever dans un saladier me revient à l’esprit. J’adore les brioches qu’elle cuisine. Praline or not praline, this morning, Mum ?

L’anglais, c’est vraiment la matière que je préfère depuis ma rentrée en sixième. Et puis, la prof est super sympa. Le jour pâle éclaire les murs blancs et nus de ma chambre. Je n’ai pas encore réussi à y punaiser les affiches et photos de ma vie d’avant. Je m’étire, à moitié réveillée. Ces derniers soirs, j’ai guetté le retour du fourgon si bien que je me suis endormie tard. Mais les parents ne s’en sont pas rendus compte. Je me lève, enfile un jogging coupé sous les genoux et des chaussettes rayées.

 Alizée ! On t’attend pour manger la brioche !

 J’arrive.

Les parents attablés, boivent leur petit café du milieu de la matinée. Dix heures trente à l’horloge. Ils m’ont laissée dormir. C’est mercredi et par chance, je n’ai pas cours.

 Tu as oublié, Alizée ?

 Quoi ?

 Donc tu as oublié.

Yvan, mon père adore me mener en bateau, alors je mords dans l’onctueuse brioche sans me prendre la tête.

 Ne t’avions-nous pas promis quelque chose ?

 Repartir chez nous en ville avant Noël !

Il soupire, l’air déçu mais se reprend vite. Ma mère joue au mime dans son dos, ses avant-bras parallèles dirigent un truc imaginaire, ses doigts font le V de la...
Victoire ! Un Vélo !

Le visage de mon père s’illumine :

 Il t’attend devant la maison.

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 Tu en as trouvé un ?

 Vas voir.

Je ne me le fais pas dire deux fois. Wahou ! Un VTC, aux pneus étroits mais creusés de sillons pour l’adhérence, repose sur sa béquille. D’un beau marron doré, il est superbe. Garde-boue, porte-bagages, sonnette, dynamo, je n’en reviens pas :

 Il est neuf !

 Comme neuf. Je l’ai acheté à l’électricien, tu sais celui qui est venu nous installer le compteur.

Ma mère rit de bon cœur :

 Il l’avait offert à sa femme, mais elle tombée dans la première montée, depuis elle n’a jamais voulu remonter sur un tel objet de torture !

 Comme ce bel engin dormait dans leur garage, il a proposé de nous le revendre. Je l’ai huilé, gonflé. Il suffit de régler la selle à ta taille.

Mon père descend la selle de quelques centimètres. En ville, les parents n’avaient jamais voulu m’en acheter un. Faut dire qu’on ne peut pas accrocher son vélo dans la rue sans le retrouver désosser, et encore si on le retrouve ! Ici un vélo, c’est la clef de la liberté.

Je me jette à leur cou et je m’élance sur le chemin de terre. Une épaisse brume blanche cache les prés, le paysage entier semble s’égoutter autour de moi. Les vaches sont dans les étables. Sur la petite route, je teste les vitesses et les freins. Cette fois, mon passage ne déclenche pas la course des trois affreux ! Pourtant je les vois, les trois spectres au milieu du bouillard. L’énorme jument, le vieil âne branlant et le bouc cornu en restent médusés ! Ils ne tentent pas de me suivre le long de la barrière. Je vais trop vite pour eux, ce qui me fait marrer ! Ou alors, ils ne m’ont pas repérée.

L’humidité me transperce, je n’y vois pas à dix mètres, mais ma joie s’intensifie à chaque coup de pédale !

Des chiens de chasse gémissent et jappent pas bien loin. Je fais demi-tour. Avec si peu de visibilité, j’ai peur de me prendre une balle perdue. Mes cheveux sont trempés, je pédale à fond pour me réchauffer, vitesse réglée sur le grand plateau je prends la pente. Quelque chose jaillit de la haie sur ma droite, traverse d’un bond. Je freine trop sec, mets pied à terre, parviens à me rétablir de justesse. L’animal a disparu depuis longtemps. Des pans de brume cachent sa fuite, tant mieux. Je n’entends plus les chiens. Il est passé si près ce chevreuil, j’aurais pu le toucher.

Cette rencontre me laisse émerveillée. Mon cœur bat dans ma poitrine. C’est la première fois qu’un animal sauvage me frôle. En ville, ça ne risquait pas de m’arriver. J’écoute, espérant capter sa course, mais je n’entends que le frottement de la dynamo sur ma roue quand je repars. La lampe à l’angle de la maison m’attire comme un phare.

 Tu peux me croire, des caches d’armes on n’a pas fini d’en trouver dans la forêt.

Ai-je bien entendu ? Intriguée, je relève la tête de l’étagère aux magazines. Là-bas au comptoir, deux hommes discutent sans baisser le ton.

 Les gendarmes n’arrêtent pas de tourner ces temps. C’est qu’il y en a des hectares de bois à fouiller par chez nous.

Je ne perds plus une miette de leur conversation.

 Tu te souviens de la voiture incendiée sur le chemin blanc de la Croix de la grand-mère…

 Et la ferme partie en fumée à la fin de l’été. Un jour ou l’autre, ces histoires vont finir par causer des ennuis au village.

 Au Pacau, les évènements bizarres, c’est pas nouveau.
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Rappelles-toi la vieille !

Ça alors ! Le Pacau, c’est la maison qui a brûlé entre chez nous et le bois.
 Je suis pas prêt de l’oublier, elle me terrorisait enfant.

Je comprends mieux pourquoi mes parents ont pu acheter cette maison perdue. Les gens d’ici n’en voulaient pas, même si la vieille a dû mourir depuis longtemps vu l’âge des deux au bar. Je m’avance, mais la discussion dévie. Le plus âgé a des problèmes mécaniques avec son tracteur, et l’autre lui donne des conseils.

 Tu cherches quelque chose, petite ? La commerçante m’observe avec curiosité.

 J’ai oublié mon porte-monnaie, je reviendrai. Au revoir madame.

Je quitte précipitamment le magasin tout en un du village qui réunit épicerie, dépôt de pain, presse, tabac, bar. Si ça se trouve, le fourgon de l’autre nuit était rempli d’armes à planquer dans la ferme du Pacau… Mais qui peut cacher des armes ? Des chasseurs, des gangsters ? Je ne connais personne ici, comment en savoir plus ? J’enlève l’antivol de mon VTC sous le regard goguenard d’un papi. Peut-être bien qu’ici ce n’est pas la peine d’attacher les vélos, mais je n’ai pas envie de prendre le risque. Je pédale si fort pour entraîner la dynamo que je ne vois pas passer les 5 kilomètres entre le village et chez nous. Le crépuscule vient vite. La brume s’est dissipée quelques heures, juste assez pour que je passe l’après midi à faire du vélo sur les routes minuscules. Mais j’ai intérêt à réviser les leçons d’anglais et d’histoire en rentant. Je les ai apprises un peu vite pour pouvoir sortir. Sans mon nouveau vélo, j’aurais passé un triste mercredi. En atteignant le champ des trois affreux, je fais tinter ma sonnette. Les voilà qui galopent vers moi ! Je leur fais un pied de nez et fonce chez nous.

Le lendemain, en grimpant dans le car, mes courbatures m’arrachent une grimace qui se transforme en sourire. C’est trop bien, d’avoir un VTC ! Croyant que ce sourire lui est adressé, un garçon me salue, la banane jusqu’aux oreilles. Je passe et me glisse sur une banquette vide au fond. Colle ma joue contre la vitre, ferme les yeux. J’ai encore guetté le fourgon hier, en vain. Je voulais faire des recherches sur Internet au sujet des caches d’armes, mais notre ordinateur est installé au milieu de la pièce à vivre du bas et mes parents y ont passé leur soirée.

 Tu veux un croissant ?

Debout dans l’allée, le garçon me tend un sac en papier. Je réponds machinalement :

 Non merci.

 Ils sont bons, tu sais.

Il attend. Ses yeux calmes posés sur moi si bien que je change d’avis et tend la main vers un croissant doré.

 Merci.

 Moi, c’est Maté.

Et avant que j’ai le temps de réagir, il s’assied à côté de moi.

 J’habite au départ du ramassage. Je suis celui qui fait le plus long trajet en car matin et soir. Comment t’as atterri ici ?

 En ULM.

 C’est vrai qu’il y en a beaucoup qui survolent le coin, il me regarde, amusé.

 J’ai suivi mes parents.

 Je t’ai vue rentrer en cours avec la sixième un, je suis en cinquième deux. Tu t’entends pas avec ceux de ta classe ? T’es toujours seule dans la cour.

 Je ne suis pas d’ici.

 Ça je l’avais remarqué !

Quand il se marre, ses yeux noirs brillent comme des étoiles.

 T’as un vélo ?

 Oui, pourquoi ?

 Comme ça.

 Tu connais la forêt ?

 La forêt, la rivière, les champignons et les arbres, je suis né ici. Comment tu t’appelles ?

 Alizée.

 Bienvenue Alizée.

Et il se tait. J’ai des questions plein la tête, mais je n’ai pas envie de passer pour une naïve de la ville, surtout pas devant lui. On termine nos croissants. Quand je vois qu’il enfile les écouteurs de son MP3, je fais pareil sans mettre en route le mien. On n’échange plus un mot jusqu’au collège, mais ça ne fait rien. C’est bien ce silence.

Maté. Je le regarde traverser la cour en direction des cinquièmes, quand il se retourne pour me faire un grand signe de la main. Je réponds et je rougis jusqu’aux oreilles, pourvu que personne ne m’ait vue. Raté.

 Tu le connais ?

 Tu lui parles ?

 T’as enfin fini de bouder ! Tant mieux, parce qu’au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, dans notre sixième, on n’est pas beaucoup de filles !

Trois filles de ma classe m’entourent. Trois copines qui ne se quittent jamais. Une brune directe et vive comme un vol d’étourneaux, une blonde aux cheveux attachés en queue de cheval et une aux yeux clairs, capable de répondre à toutes les questions dans toutes les matières. Zoé, Lise et Manon. Dans leurs regards, je lis l’admiration.

 Tu as trop de la chance de prendre le car scolaire. Nous on habite à côté. On vient à pied.

Les deux autres approuvent Zoé. Je comprends qu’elles sont en train de dire que j’ai de la chance d’être dans le car avec Maté. Si parler à Maté suffit à me rendre populaire, pourquoi pas. Ça tombe bien, je commençais à en avoir assez de rester à l’écart. Alors j’ajoute :

 Maté habite vers chez moi.

 Tu habites Saint Michel les Rivières ?

Leurs yeux écarquillés me font sourire. Elles en savent des choses sur lui.

 Non, je vis au lieu dit du Pacau. L’arrêt suivant le terminus où monte Maté.
Zoé attrape ses copines par les bras, et me fixe droit dans les yeux :

 Aujourd’hui, on mange à la cantine et toi ?

 Je mange ici tous les jours.

 Génial ! On se mettra à la même table !

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