Un soir, le trio va dans un cinéma en plein air et rencontre une “ Soc ”, Sherry. Elle s’est disputée avec Bob, son petit ami. Dallas veut la draguer. Ses amis le désapprouvent et ils raccompagnent la jeune fille chez elle, mais, en chemin, Bob vient la chercher.
Les deux “ Greases ” traînent dans la ville. Les “ Socs ” les attaquent et Bob veut noyer Ponyboy. Alors, Johnny le poignarde à mort. Dallas les envoie se cacher dans une église désaffectée.
Quelques jours plus tard, il vient les chercher en voiture et tente de les convaincre de ne pas se livrer à la police.
Après avoir mangé dans un restoroute, ils voient l’église en flammes. Des enfants sont coincés dans l’incendie. Ils leur portent secours. La presse en fait des héros. Ponyboy n’a presque aucune brûlure. Dallas reste en observation à l’hôpital où Johnny subit des soins intensifs.
Sherry a promis à Dallas de témoigner que les Socs étaient ivres et que Johnny a agi en légitime défense.
Un grand combat entre “ Socs ” et “ Greases ” est organisé. Dallas s’enfuit de l’hôpital pour y participer. Les “ Greases ” sont vainqueurs.
Johnny meurt à l’hôpital. Bouleversé, Dallas traîne dans la ville et attaque un marchand de journaux avec un revolver non chargé. La police le prend en chasse et l’abat.
Ponyboy décide d’écrire leur histoire.
Générique
– Titre original The Outsiders
– Scénario Kathleen Knutsen Rowell, d’après une nouvelle de S. E. Hinton
– Réalisation Francis (Ford) Coppola
– Image Stephen H. Burum
– Son Richand Beggs
– Costumes Marge Bowers
– Décors Dean Tavoularis
– Ass. Décors Roman CoppolaMontage Anne Coursaud
– Effets spéciaux Robert Swarthe
– Musique orgin. Carmine Coppola
– Chanson (gén.) Steve Wonder
Interprétation
“ The Greasers ”
– Dallas Winston / Matt Dillon
– Johnny / Ralph Maccio
– Sodapop Curtis / Rob Lowe
– Ponnyboy Curtis / Christopher Thomas Howell
– Darrell Curtis/ Patrick Swayze
– Two-BitMatthews/ Emilio Estebez
– Steve Randle/ Tom Cruise
– Tim Shephard/ Glenn Withrow
“ The Socs ”
– Cherry Valance / Diane Lane
– Bob Sheldon / Leif Garet
– Randy Anderson / Darren Dalton
– Marcia / Michelle Meyrink
– Buck Merill / Tom Waits
– Jerry/ Gailard Sartain
– Store Clerk/ William Smith
– l’infirmière : Susan Hinton / Sofia Coppola
– Production Fred Roos et Gray Frederickson
pour “ Zoetrope Studios ”
– Film Couleurs (35mm)
– Format CinémaScope (1/2,35)
– Durée 1h31
– N° de visa 56 598 (immatriculé en 1982)
– Distribution Carlotta Films
– Sortie (France) 7 septembre 1983
Sortie (USA) 25 mars 1983
Secrets de tournage
Coppola s’explique sur Outsiders
"Je voulais faire un film sur les jeunes et sur l’idée d’appartenance à un groupe social auquel on s’identifie et où on se sent vraiment aimé. Même si tous ces garçons sont pauvres et d’une certaine façon insignifiants, l’histoire leur donne une sorte de beauté et de noblesse. Quand on regarde un soleil couchant, on se rend compte qu’il est déjà en train de mourir. Il en va de même pour la jeunesse. C’est au moment où elle est la plus belle qu’elle commence déjà à s’échapper. Le film se situe à un instant magique de la vie des garçons. C’est cet instant que j’ai voulu saisir. Prendre un garçon des rues et en faire un héros".
Rôles
Deux bandes rivales
Enfants des quartiers pauvres de la ville, ils se mettent de la gomina sur les cheveux et portent des blue-jeans et des blousons. Leur marginalité n’est pas égale. Certains travaillent ou vont à l’école. Ce sont des solitaires, dès qu’ils ne sont plus en bandes. Coppola ne nous montre d’ailleurs aucune femme “ Grease ”.
Les Greases
Dallas Winston sort de prison. Partagé entre l’adolescence et l’état d’adulte, il est révolté, arrogant, bagarreur et farouchement indépendant. Sans cesse, il s’affiche comme un “ dur ”, mais il porte en lui une cicatrice mal refermée dont nous ne savons rien. Quand il parle de son père, il dit que ce dernier se fiche pas mal de ce qui peut lui arriver. À Tulsa, il semble être un petit mythe vivant et inspirer le respect à ses aînés. Tout en se plaçant à l’écart des autres, il considère les Greases comme sa seule famille et ne cache pas sa grande tendresse pour Ponyboy et Johnny. Coppola le présente d’abord comme un corps en mouvement, un jeune fauve rusé et assez bon comédien pour tromper un motard de la police. Mais c’est dans l’action qu’il s’exprime totalement, que ce soit en sauvant (de mauvaise grâce) des enfants d’un incendie ou en se battant sauvagement lors du combat entre Socs et Greases. Voyou au grand cœur et adepte avant l’heure du “ no Future ”, il n’est finalement qu’un enfant perdu et un “ rebelle sans cause ”.
Johnny Cade est surtout victime de son environnement familial. Il hait sa mère et n’a trouvé que les Greases comme famille. Corrigé et balafré par les Socs, il vit dans la peur et porte un couteau pour se protéger. Malgré sa faiblesse, il est capable d’initiatives. C’est lui qui sauve la vie de Ponyboy. C’est encore lui qui a l’idée de les faire changer d’apparence pour échapper à la police. En fait, c’est un idéaliste désespéré. Il rêve d’un monde de gens normaux, aspire à la tranquillité, montre une forte sensibilité devant la nature et la poésie, ose désapprouver Dallas quand celui-ci harcèle Sherry, et aime la vie.
Ponyboy Curtis est le cadet de la famille Curtis. Orphelin de père et de mère, il suit sa destinée car ses frères aînés sont aussi des Greases, mais il s’entend mal avec Darrel et appartient au groupe par solidarité de classe plutôt que par conviction. Mais il accepte leurs règles et insiste pour participer à leur grand combat. Son véritable visage est sans doute celui que lui invente Johnny quand il lui décolore les cheveux : une gueule d’ange, douce et belle. “ Il est d’or ”, comme le lui dit son ami.
Steve Randle, Sodapop Curtis et Darrel Curtis appartiennent au monde du travail. Ils restent des Greases par conviction et goût, mais ils ne sont pas des délinquants. Darrel se sent également responsable de son frère cadet. Il craint qu’il tourne mal et cherche à l’en empêcher, non sans une certaine maladresse.
Dans ce groupe, Two-Bit Matthews occupe la seule part goguenarde. Il fait toujours le clown, plaisante et provoque avec ironie, mais il se révèle efficace et violent dans le combat final. Fasciné par Mickey Mouse et le burlesque, il se laisse vivre avec une fausse nonchalance et sans trop se poser de questions.
Les Socs
Contrairement aux Greases, les Socs, enfants des banlieues riches de Tulsa, nous sont ici présentés sans nuances. Nous ne savons rien de leurs parents et nous ne voyons jamais l’endroit où ils vivent comme si Coppola ne tenait pas à nous les définir autrement que comme les rivaux naturels de ses héros.
Seule Sherry Valance est montrée de manière approfondie, sans doute parce qu’elle est le liant entre les deux groupes et accepte le dialogue avec Ponyboy. Indépendante et intelligente, elle sait se défendre contre ceux de sa bande, comme contre Dallas, et cherche aussi à calmer le jeu dans les situations de crise. Honnête, elle est prête à témoigner contre les Socs, sans toutefois oublier toute la tendresse qu’elle portait à celui qui a été tué par Johnny.
Bob Sheldon est présenté comme un violent. Johnny le reconnaît comme étant celui qui l’a défiguré. De lui, nous ne saurons cependant pas grand-chose, si ce n’est son charisme sur les autres, élément que Sherry évoque à Ponyboy. Sa sauvagerie nous est désignée comme consécutive à son ivresse. Mais, en fait, il n’est qu’une des images du Soc, selon le regard des Greases
Randy Anderson bénéficie d’un traitement plus subtil de la part de Coppola. Il s’interroge sur l’antagonisme des Socs avec les Greases, avoue sa lâcheté, cherche à codifier les combats et convainc son groupe de ne plus utiliser d’armes. Il est même prêt au dialogue, lorsqu’il découvre l’humanité de ses ennemis.
Point(s) de vue sur La mise en scène
"Stay gold"
Outsiders mélange les traitements des autres films qui ont illustré le genre dit “ films adolescents ”. Ainsi des Anges aux figures sales, Coppola garde la vision des voyous mais les préserve d’une véritable délinquance. Ils n’auront, donc, pas droit à un redressement moral parce que la société a compris leur problème. Le film ne leur offre la rédemption que dans et par la mort. De West Side Story, il ne conserve que la rivalité raciste entre bandes mais se contente d’esquisser le thème amoureux de “ Roméo et Juliette ”. Car, pour Outsiders, ce thème apparaîtrait improbable. La lutte des classes, vue non comme un instrument politique, mais comme une donnée de la réalité sociale, est le vrai sujet du film. L’entraîner dans un duo amoureux, façon Titanic, entre fille riche et garçon pauvre, l’aurait édulcoré. La bande des Socs est constituée par les gosses de riches. Celle des Greasers par les enfants pauvres des quartiers déshérités. Leurs affrontements ne servent qu’à exprimer, pour les Socs, la vanité d’affirmer leur supériorité de classe. Ils ont tout pour réussir. Ils se savent les “ winners ” dans la vie. Ils en ont peur. Pour se prouver leur existence, ils se doivent de manifester leur mépris aux “ loosers ”, ceux à qui la vie refusera toute chance. Pour les Greasers, la lutte et le combat sont la condition même de leur existence, leur angoisse. Par là on voit comment le film se distingue de La Fureur de vivre, dans lequel des jeunes gens de famille aisée se sentent mal aimés, et mal dans leur peau. Outsiders, dont le titre (hors du - bon - côté) précise bien l’intention, donne à ce mal de vivre une autre dimension. Ils ont une bonne cause pour être rebelle. Le monde, la beauté de l’univers leur est, par naissance, interdit. En citant fréquemment le film de Nicholas Ray, en particulier à travers le couple Ponyboy-Johnny, qui réveille constamment la mémoire du couple Jim-Pluto de La Fureur de vivre, Coppola rend hommage à un chef-d’œuvre qui a marqué sa propre adolescence dans le même temps qu’il introduit sa différence.On notera dans The Outsiders, ce qui le distingue des films précités, l’absence quasi totale d’adultes tant soit peu responsables - parents, policiers, médecins, enseignants, etc. Pis, on remarque que le contact avec les adultes est désormais coupé. L’adulte, ici, n’a pas de place. Le seul qui, dans l’histoire, occupe un peu de surface est un professeur aussi lâche qu’obèse qui laisserait mourir ses petits élèves dans l’école en feu plutôt que d’intervenir. Les adolescents, eux, considérés comme délinquants par la société, sont les seuls à accomplir naturellement un acte d’héroïsme. Dans leur détresse, ils souffrent du cynisme, de l’égoïsme ambiant et surtout d’une indifférence absolue à leur égard. Ils aspirent à quelque chose qui soit réellement importante à leurs yeux, à des valeurs authentiques dont ils sentent bien qu’elles sont nécessaires à la vie. Tel est le sens de la phrase, véritable clé du film : “ stay gold ” (“ Reste d’or ”, poème de Robert Lee Frost, San Francisco, 1874 - Boston, 1963).
Le film s’ouvre d’ailleurs sur Ponyboy, coincé entre deux murs en angle droit, enfermé entre deux stores et leurs rais de lumières qui semblent l’emprisonner. Comme pour s’en échapper, l’adolescent commence à écrire son journal que visualisera le film, et aussitôt, en fondu enchaîné, surgit à la surface de l’écran un paysage féerique nimbé par un soleil levant. Outsiders oscille entre une aspiration poétique à un monde digne d’être vécu et une excitation d’une violence effrayante mais ludique, exutoire de la violence réelle que la société exerce sur ces adolescents.
Comme toujours chez Coppola, l’écriture cinématographique s’élabore à partir d’un passage incessant entre une description réaliste et l’inscription dans l’image de son retentissement mental sur les personnages. Plus précisément ce qu’elle cherche à produire sur l’écran est le contraire d’une vision naturaliste qui s’applique au rendu exact d’un vécu prosaïque. La réalité qu’elle dévoile à nos yeux est celle qu’une sensibilité aiguë filtre et voit par le biais de l’imaginaire. Car il ne s’agit pas pour elle de ne traduire que la seule subjectivité mais de montrer que cette dernière a été travaillée, façonnée par une mentalité collective (d’où, on y revient, l’importance dans cette écriture, du modèle hollywoodien) qui instille sa représentation du monde pour mieux l’imprimer dans les esprits comme une réalité, comme la réalité.
Coppola reprend ainsi à son compte l’un des thèmes fondateurs du cinéma américain que l’œuvre de John Ford, le maître de ce cinéma, a constamment célébré : la communauté. Mais à la différence de l’auteur de La Prisonnière du désert (The Searchers, I956), la communauté n’est jamais chez lui une communauté constituée qui ne cherche qu’à se fortifier en créant ses mythes, ses valeurs, ses lois. C’est une communauté aléatoire, formée de solitudes angoissées, qui repose sur une cruelle sensation de manque. La quête de ces adolescents vise à recomposer une famille dont ils sentent bien qu’elle ne peut être que de substitution. On le voit parfaitement avec le frère aîné de Ponyboy. Obligé de remplacer les parents tués dans un accident, il ne retient de la famille que le rôle autoritaire du père. Il se plie ainsi à la conception collective dominante de la virilité qui modèle le comportement de tous ces adolescents. Il refuse, par pudeur, orgueil, maladresse, le pôle maternel sur lequel se fonde la famille et rejette, avant de l’accepter in extremis, toute manifestation affective. Et même après ce moment d’épanchement, il prolonge sa fonction de chef de famille par procuration en celui de chef de bande qui conduit le combat. Car dans une société qui repose sur le principe du “ struggle for life ”, l’homme se doit de choisir pour le froid de l’affrontement brutal au détriment de la douce chaleur du foyer.
Froid et chaleur, peur et tendresse, nuit et feu, morne cadre de vie et splendeur de la nature, masculinité dominante et féminité maternelle absente, à la fois crainte et désirée (Johnny repousse la présence de sa mère qui ne le fut jamais pour lui, au moment de mourir), tels sont les thèmes entrecroisés qui se répondent poétiquement et tissent l’étoffe du film autour du besoin de famille. Le seul moment où l’on a un aperçu de cette famille unie, radieuse, forcément sublimée sera nécessairement un pur songe, image d’un paradis perdu ; appelé à disparaître immédiatement, à se briser sur celle du train écrasant la voiture.
Car en examinant attentivement cette courte évocation, on remarque l’importance visuelle de la voiture au centre de ces images (dans Rusty James ce sera la moto). Elle occupe à elle seule l’espace du cadre, objet mythique autour duquel et à partir duquel semble, dans le souvenir de Ponyboy, s’organiser la vie heureuse de la famille, en être la cause. Élément hétérogène qui s’interpose comme un filtre. Comme si la voiture, indissolublement lié au rêve collectif hollywoodien, symbole de la réussite et de l’intégration à l’“ americain way of life ”, imposait sa présence au cœur même d’une vision idyllique de ce que serait le bonheur intime. Omniprésence, faudrait-il dire, et ce d’autant plus qu’elle est devenue tellement banale que l’on ne la remarque plus. Il suffit, pourtant, de regarder le film pour constater que, depuis le “ drive in ” jusqu’à la poursuite finale et fatale par les voitures de flic, elle ne cesse de jouer un rôle maléfique. Elle est le témoin de la puissance industrielle, du pouvoir économique auquel nul ne peut échapper et encore moins les pauvres personnages déshérités que nous représentent le film.
Coppola superpose constamment deux réalités. Celle à laquelle aspire chaque individu et celle que la société façonne et impose. À la différence de nombre d’autres cinéastes qui les oppose dans des films dit “ sociaux ”, Coppola cherche à révéler la vérité de leur rapport. Il montre que leur conflit est plus subtil et surtout pessimiste, que les classes dominantes transfigurent la réalité que dictent leurs intérêts en un songe qui s’infiltre dans le rêve individuel et contamine l’imaginaire de chacun.
Comme il convient à tout artiste authentique, l’écriture de Coppola intègre le sens profond du sujet qu’il traite. Et, comme tous les grands cinéastes, c’est en filmant littéralement une image verbale ou une expression littéraire qu’il y parvient. Revenons à cette pensée d’une représentation collective “ pré-vue ” qui infiltre le mental des personnages. C’est ce que traduit le traitement de l’image. Elle est systématiquement magnifiée par la lumière, donc parasitée par les filtres bleutés ou orangers. Elle appartient bien au monde des images (celui d’Hollywood ou de la publicité) et non à l’image du monde. Elle produit une impression de féerie factice pour mieux aliéner, jusqu’à leur destruction, les jeunes adolescents. D’où la fin du film lorsque Dallas se perd dans un univers totalement bleuté, brumeux, à l’éclairage teinté de fantastique, à la limite de l’irréalité. Et comment en serait-il autrement, comme entend le signifier le film, puisque le monde de la réalité, pour ces jeunes, reste interdit. Leur reste à sublimer un univers qui sera celui de la pure poésie, donc de la mort.
Cette impossibilité faite aux adolescents par la société des adultes d’avoir une prise directe sur les faits, de construire par eux-mêmes leur vie, concerne aussi bien les riches que les pauvres. Et les deux bandes en payeront le tribut par la mort. Les Socs, en prétendant occuper le territoire des autres, répètent inconsciemment et grossièrement, le modèle économique d’appropriation dont se nourrissent leurs parents. Les Greasers, eux, ne peuvent poursuivre que la chimère d’avoir une action sur le monde. Soit par un acte insensé donc héroïque comme Johnny pour qui avoir une prise sur l’événement coûtera la vie. Soit par la voie de la délinquance qui mènera Dallas, dans un ultime sursaut à une sorte de suicide sacrificiel. Seul Ponyboy échappera à cette malédiction par une troisième voie, celle de l’art et de l’écriture (le film se boucle d’une manière cyclique par le même plan du début où l’on voit l’adolescent écrire son récit). Contre une “ rêverie-rêvasserie ” instillée à l’intérieur de la mentalité collective il pourra, peut-être, imposer l’imaginaire de son monde.
“ Reste or ”, le prie Johnny en citant le poème. Reste toujours toi-même, un poète, veut-il dire au moment d’expirer. L’univers est beau et mérite d’être vécu. Il faut le protéger d’une vision falsifiée qui le salit, le libérer d’un rêve mensonger qui masque un appétit insatiable d’appropriation et la violence obligée qu’il (dé)génère. D’où la place primordiale qu’occupe dans The Outsiders non seulement la nature mais au cosmos. Coppola, réinvente ici, la fameuse scène du planétarium de La Fureur de vivre. Il en élimine le lieu trop civilisé, trop artificiel pour la situer au cœur de la vraie nuit. Ponyboy et Johnny, une nouvelle fois littéralement, se terrent (cf. la position de la caméra) pour contempler effrayés, émus et admiratifs la splendeur de la voûte céleste. La nature est le refuge, le substitut de la mère, dans lequel on vient confier sa solitude. Mais, dans le noir de la nuit, son immensité terrorise.
On conçoit qu’un tel message ne peut être transmis de l’extérieur par un discours venant seulement de l’intrigue. Il doit sourdre de l’écriture même du film. À la différence d’un Howard Hawks qui regardait un monde concret, Coppola filme la vision falsifiée, pervertie d’un monde mercantile (la voiture). Son but n’est pas seulement de montrer mais de faire ressentir de l’intérieur l’aliénation qu’elle provoque. Il nous demande de constater comment elle fait écran sur l’écran. D’où l’absence de perspective. La profondeur de champ semble sans relief, soumise à l’à-plat de la toile cinématographique (comme on l’entrevoit au “ drive in ”). Ce monde-là n’est pas consistant. Il obéit aux lois de la fiction. Il est changeant comme le vent, mouvant comme les nuages. Dès lors sa représentation ne suit plus les règles classiques. Elle est fondée sur les déséquilibres, les distorsions, les disproportions. Un plan trop rapproché succède à un plan trop général, trop vaste. Une caméra à ras de terre se retrouve, juste après, en plongée violente sans raison objective, sauf trahir l’intensité d’une sensation forte que nous sommes ainsi conviés à partager. Souvent Coppola pousse son principe jusqu’à ses conséquences extrêmes. Puisque le monde qu’il décrit est un monde à l’envers, il le filmera littéralement (encore et toujours) désaxé, c’est-à-dire en désaxant sa caméra. Ainsi de la scène où Ponyboy et Johnny sont agressés par les Socs.
Jean Douchet
Une utilisation originale de l’espace
“ L’anecdote est platement racontée, sans rythme ni tonalité particulière et certaines scènes sont carrément lamentables : les deux ou trois conversations "pathétiques", les quelques confidences sur fond de soleil couchant sont à peine dignes d’un mauvais roman-photo.
Toutefois, de cette médiocre guimauve, on retiendra une utilisation de l’espace qui diffère du tout-venant. À part quelques scènes d’intérieur tout se passe dans la "zone", où le terrain vague semble avoir gagné les ruelles, le cinéma en plein air, et jusqu’au pub. C’est dans cet "espace vague" que tout se noue, mais aussi que rien ne se termine vraiment - si ce n’est individuellement. Il y a là, dans cette détermination, la patte d’une autre mise en scène... ”
Vincent Amiel, “ Positif ”, n° 273, novembre 1983.
Des corps de fiction en quête d’un décor
“ Avec ses références avouées, ses loubards écorchés vifs, ses accès d’humanisme romantique, ses directions d’acteurs très Actor’s Studio des années cinquante, Outsiders est un film résolument et précisément daté. Coppola s’est livré avec un évident plaisir à une sorte de "à la manière de" (Nicholas Ray, en l’occurrence). Si on oublie un dialogue qui n’évite pas une certaine mièvrerie, on peut considérer l’entreprise de pastiche plutôt réussie. Reste à savoir si cette technique parfaitement au point, quasiment mimétique (qui rappelle celle, époustouflante, mais un peu vaine, dont Woody Allen fait preuve en pastichant Bergman ou Fellini) présente en soi un réel intérêt...Hormis ce savoir-faire à double tranchant, le film a ses qualités propres et ne manque pas de charme. ”
Jacques Valot, “ Revue du cinéma ”, n° 387, octobre 1983.
Coppola est un cinéaste “ primaire ”, et c’est ce qui fait sa force
“ On pourrait tout de même s’étonner que ce soit précisément Coppola qui se soit jeté avec un tel abandon dans cet art de l’imitation, lui qui se voulait encore hier le prophète et le messie des nouvelles technologies au cinéma. La réponse est peut-être toute simple, et elle est à chercher dans la confusion constitutive du film qui fait que l’on pourrait se demander en permanence : mais de quelle jeunesse nous parle-t-il ? Peut-être bien un peu de celle d’aujourd’hui, mais alors dans ce qu’elle a de commun avec toutes les jeunesses, l’impatience sans objet, la capacité d’être entièrement dans un sentiment ou une sensation, quitte à en changer cinq minutes après, un certain état d’urgence. En tout cas, il ne prétend pas nous parler de la jeunesse d’aujourd’hui dans ce qu’elle a de nécessairement différente de celle, par exemple, de la génération du cinéaste. Les "Greasers" et les "Socs" de Outsiders sont visiblement des êtres de cinéma, des chimères, des hybrides de jeunesse. La sagesse de Coppola (mais c’est une sagesse un peu vieille, pas très exaltante, si on l’oppose, et pourquoi pas, à la folie d’un Bresson réinventant une jeunesse à la mesure de ses exigences) a sans doute été de se dire que l’on ne peut connaître au mieux la jeunesse des autres, de ceux qui viennent après vous, qu’à travers le souvenir de sa propre jeunesse (pour lui, celle des films de James Dean), et qu’il bâtirait son film, sans tricher, et jusque dans la forme, sur cette conviction acquise d’expérience. ”
Alain Bergala, “ Cahiers du cinéma ”, n° 352, octobre 1983.
Une alchimie flamboyante
“ Sans doute Coppola possède-t-il une vision idéaliste de cette jeunesse (celle des années soixante), de la nôtre (celle des années quatre-vingt). Lui reprochera-t-on son optique trop hollywoodienne, trop esthétisante, trop polie ? On ne peut s’empêcher de voir Outsiders comme une œuvre d’auteur où la subtilité thématique va jusqu’à incorporer, non sans une certaine sophistication, les quatre éléments de la nature dans une alchimie flamboyante. Pour le plaisir, énonçons la... La terre, celle de la campagne, celle à laquelle se heurte les corps tombés au sol. La boue qui les éclabousse. L’eau : la pluie diluvienne qui inonde une des bagarres, le reflet dans l’eau de la fontaine tragique. Le feu, l’incendie mais aussi un feu de camp dans la nuit, jusqu’aux cheveux de Cherry, la rousse qui porte un prénom évoquant la campagne (Cerise). Quant au vent, il s’inscrit dans le titre référentiel Gone With the Wind, le livre préféré de Johnny qui l’accompagnera jusqu’à la mort."
Evelyne Caron-Lowins, “ Cinéma 83 ”, n° 297, septembre 1983.