Présentation au cinéma de Prades 16/01/206
Persepolis est un film d’animation (un dessin animé) réalisé en 2007 par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.
A l’origine, c’est une bande dessinée composée de quatre albums de Marjane Satrapi.
Marjane Satrapi est iranienne et elle a passé son enfance et une partie de son adolescence en Iran. Elle raconte en fait son histoire. Pour comprendre cette histoire, il faut avoir en tête quelques éléments d’Histoire ... et aussi de géographie. Ce pays est entouré à gauche par l’Irak, la Turquie, l’Arabie Saoudite, et à droite parle le Pakistan et l’Afghanistan.
Persépolis débute sous le régime du chah (empereur) Mohammed Réza Pahlévi. Celui-ci est très occidentalisé, il a rompu avec les vieilles traditions religieuses, il alphabétise la population, prend en compte les femmes, souhaite une révolution industrielle et culturelle. Mais sa police politique, mise en place par la CIA en 1957 (la SAVAK) torture et assassine les opposants. Ce régime autoritaire fait naître de très fortes contestations. C’est l’ayatollah Khomeyni, un religieux en exil en France, qui incarne la révolution en marche. Au départ, la révolution regroupe tout le monde (libéraux, communistes, socialistes et religieux). Mais, rapidement les religieux seuls prennent le pouvoir. L’Iran devient alors une République islamique en 1979. Le nouveau gouvernement est fondé sur l’islam (Chiite). Le chef des religieux, l’ayatollah (« signe de Dieu ») Khomeyni, est appelé « Guide suprême ou Guide de la révolution » et se situe au-dessus du président de la République. L’événement historique synonyme de liberté - décrit au début du film - devient donc rapidement un régime politique fort.
On en est encore là aujourd’hui.
Persepolis parle donc de l’histoire récente de l’Iran. Mais cette Histoire est vue à travers les yeux d’un personnage, Marjane. Cet aspect autobiographique est central. Au début du récit le personnage est une petite fille qui voit le monde qui l’entoure avec des yeux d’enfant. Cette enfant grandit, et son regard va bien sûr se transformer.
Le film (comme d’ailleurs la bande dessinée) souligne par différents procédés l’écart entre le personnage de Marjane, enfant ou adolescente, et l’auteur devenue adulte. Ainsi, au début, la petite Marjane affirme qu’elle sera « le dernier prophète de la galaxie » : il s’agit bien sûr là d’une parole d’enfant, et tout le monde comprendra bien vite que l’auteur adulte ne croit évidemment plus à ce qui n’était qu’un rêve de petite fille. Même, s’il en reste encore quelque chose...
Mick Miel
Générique
– Réalisation : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud
– Scénario : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud d’après l’oeuvre de Marjane Satrapi
– Image : François Girard
– Directeur Artistique : Marc Jousset
– Décor : Marisa Musy
– Montage : Stéphane Roche
– Son : Thierry Lebon, Eric Chevallier, Samy Bardet
– Musique : Olivier Bernet
– Directeur de l’animation : Christian Desmares
– Production : 2.4.7 Films, France 3 cinema, The Kennedy/Marshall Company
– Distribution : Diaphana Films
– Format : 1x1.85, noir et blanc
– Durée : 1h35 avec les voix de
Marjane / Chiara Mastroianni
Tadji, la mère de Marjane / Catherine Deneuve
la grand-mère de Marjane / Danielle Darrieux
Ebi, le père de Marjane / Simon Abkarian
Marjane enfant / Gabrielle Peres
Oncle Anouche / François Jérosme
Persepolis, un récit à la première personne
Persepolis est une évocation de l’histoire récente de l’Iran, vue cependant à travers les yeux d’un personnage, Marjane, qui est également un des auteurs du film (avec Vincent Paronnaud) ainsi que de la bande dessinée dont ce film est inspiré [1]. Cet aspect autobiographique, très visible, prend en outre une coloration particulière due au fait que le personnage est au début du récit une très jeune fille qui voit le monde qui l’entoure avec des yeux d’enfant. Cette enfant grandit, et son regard va bien sûr se transformer. Cette évolution est particulièrement sensible dans le film qui dure à peine une heure et demi, alors que la bande dessinée est scindée en quatre volumes dont le lecteur peut ne parcourir qu’un ou deux épisodes à la fois [2].
En cela, Persepolis se distingue aussi bien d’une autobiographie d’adulte (par exemple les Mémoires de guerre du général de Gaulle ou dans le domaine de la fiction Adolphe de Benjamin Constant) que d’un récit dont le personnage principal est un enfant (par exemple la Gloire de mon père de Pagnol ou un film comme Stand By Me de Rob Reiner). Il est cependant bien sûr possible de trouver d’autres récits dont la démarche est similaire à celle de Marjane Satrapi comme les Mots de Jean-Paul Sartre ou même, pour une part, les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
Il paraît donc intéressant de revenir avec les jeunes spectateurs sur cette dimension autobiographique et plus particulièrement sur l’évolution du personnage principal : on remarquera en particulier que le film (comme d’ailleurs la bande dessinée) souligne par différents procédés l’écart entre le personnage de Marjane, enfant ou adolescente, et l’auteur devenue adulte. On pourra ainsi demander aux participants, après la vision du film, de citer les éléments du film dont ils se souviennent et qui révèlent cette distance - souvent ironique - que Marjane Satrapi marque par rapport à elle-même et aux événements qu’elle a vécus.
Un petit exemple suffira à concrétiser cette analyse et à lancer la réflexion des jeunes spectateurs. Ainsi, au début du film, la petite Marjane affirme qu’elle sera « le dernier prophète de la galaxie » : il s’agit bien sûr là d’une parole d’enfant, et tous les spectateurs (adolescents ou adultes) comprennent bien que l’auteur adulte ne croit évidemment plus à ce qui n’était qu’un rêve de petite fille. C’est d’abord avec nos connaissances d’adulte que nous jugeons qu’il s’agit là d’un enfantillage (et que nous estimons que Marjane Satrapi adulte doit elle aussi réagir comme nous), mais d’autres indices nous permettent de confirmer notre interprétation [3] : ainsi, l’échange qui suit avec la grand-mère de Marjane suffit à nous convaincre de la naïveté de la petite fille, tout en nous montrant une réaction d’adulte à laquelle nous pouvons nous identifier intellectuellement. Comme la grand-mère nous sourions intérieurement de ces propos enfantins tout en retrouvant sans doute dans l’attitude de la petite Marjane une part de notre expérience personnelle (pour rappel, la grand-mère répond immédiatement à Marjane qu’elle sera sa première disciple lorsque celle-ci lui affirme qu’aucune vieille n’aura désormais le droit de souffrir : mais elle lui demande quand même comment elle fera pour que les vieilles ne souffrent plus, ce à quoi Marjane répond que ce sera interdit...).
Demandons alors aux participants d’essayer de se souvenir d’un maximum d’épisodes qui révèlent l’évolution de Marjane ; essayons également de repérer dans ces différents épisodes des indices qui permettent de percevoir la distance que l’auteur marque ainsi par rapport à elle-même. Cette réflexion pourra être menée en petits groupes, mais l’on essaiera ensuite de regrouper les éléments relevés pour retracer l’ensemble du parcours psychologique du personnage (par exemple au tableau). On trouvera dans les encadrés ci-dessous quelques exemples d’analyses qui pourraient être faites.
Mise en scène
– Réalisme vs expressionnisme : la manière
En adaptant sur grand écran ses bandes dessinées, Marjane Satrapi rejoint par à-coups l’esthétisme de l’expressionnisme, s’amusant dès lors à baptiser son œuvre Persépolis, un clin d’œil à Métropolis (Fritz Lang, 1927). Cependant, si l’auteur emprunte à l’expressionnisme allemand les décors aux perspectives faussées, le travail obsédant sur les ombres, la thématique de la folie des hommes, l’usage des ouverture et fermeture à l’iris cher au muet, elle ne compare pas Persépolis (ancienne capitale de la Perse) à Métropolis (délire visuel du cinéaste Fritz Lang).
Le dessin de Marjane Satrapi est réaliste, il n’emprunte nullement au cartoon ou à l’esthétisme d’un Walt Disney. Il s’inscrit dans la droite ligne d’un réalisme imposé en bande dessinée, depuis les comic strips américains des années 20 jusqu’au travail d’un Spiegelman sur Maus.
Si Marjane refuse la couleur en bande dessinée, elle a dû se plier aux exigences de l’animation, aux 24 images/seconde, à la durée. L’utilisation de la couleur et du dégradé de gris en toile de fond dans Persépolis permet de reposer la vision tout en restant au plus près du réalisme imposé. Marjane Satrapi n’encombre pas son décor. Lors des scènes dans l’aéroport, seuls quelques personnages sont taches de couleur et le ciel qui voit l’envol des avions est bleu.
Opposant la couleur du présent à une palette de gris pour traiter du passé, Persépolis garde son graphisme épuré et utilise la force des contours, la trace, pour faire mouvoir ses personnages. Les visages sont expressifs et l’émotion vient aussi de ce don pour rendre un sourire, une crainte, une colère sans exagérer, caricaturer les traits. Les moments de danger sont toujours dessinés en ombres chinoises, la foule, silhouettes noires, vient souvent envahir l’écran et fondre l’image dans un noir endeuillé.
Tous les dessins ont été retravaillés au feutre suivant des empâtements différents, ils ont été tracés. La trace, en animation, correspond au moment où on finalise le trait, où on lui donne son épaisseur. Pour garder une identité graphique originale à Persépolis, ce tracé a été une étape importante et obligatoire.
Le réalisme cher à Marjane Satrapi met alors en évidence les scènes d’onirisme, très présentes dans la bande dessinée. Aucune frontière n’est imposée entre espace quotidien et lieu de la rêverie. Les instants de douces envolées - et ce terme n’est point galvaudé puisque tous ces moments montrent Marjane volant, planant, ne touchant plus terre - sont incorporés, voire définissent la scène. Le rêve est de l’ordre de l’apparition, une incrustation possible dans l’espace de l’enfant (Dieu, Karl Marx). Mais certains plans, certaines scènes se tournent davantage du côté du fantasme dans le monde adolescent (Marji modifiant son apparence, Marji et Marcus, etc.). Ainsi l’onirisme se révèle fantastique et s’attaque au graphisme qui se veut réaliste, modifiant une apparence et offrant un point de vue poétique sur la scène.
Marjane Satrapi se sent très proche de l’expressionnisme allemand et du néoréalisme italien parce que ce sont deux cinémas qui ont vu leur essor dans une période d’immédiat après-guerre, le premier dès 1919, le second à partir de 1945 (même si le film fondateur, Ossessione de Visconti, date de 1943). Or, l’auteur se dit être quelqu’un « d’après-guerre ». Persépolis, pour elle, semble être une synthèse relative de ces deux courants cinématographiques : à des scènes quotidiennes, réalistes, presque documentaires, s’opposent des parties graphiques. Gardons cependant cette expression - réalisme stylisé - pour définir son travail et ajoutons-lui la manière. Celle de Vasari bien sûr qui emploie ce terme, synonyme de style, pour offrir une expression qui recouvre des qualités d’harmonie, de mesure, d’imagination et de fantaisie.
– Les fondus
Pour accentuer le passage de la BD au cinéma, pour donner une durée, un étalement, une impression de mouvement même entre les plans, Marjane Satrapi use de fondus au noir, fondus enchaînés, voire fondu au blanc (un seul au début du film qui met en évidence le bonheur dans lequel fond Marji, l’insouciance). Ces fondus au noir closent une scène ou un épisode et offrent du temps avant une nouvelle ouverture. Ils sont une pause entre les plans, une façon de donner au spectateur la possibilité de souffler entre deux bouleversements. De même, l’usage du fondu enchaîné pour relier une image fantôme à une autre image, joue du deuil, du souvenir qui s’efface et contrecarre l’implacabilité des cuts. Des panoramiques, avant et arrière, resituent régulièrement le personnage dans le lieu ou le lieu autour du personnage. Ils dévoilent aussi le problème qu’ont rencontré les auteurs avec le décor, qui tour à tour prédomine, s’efface, revient, s’oublie, s’impose.
Découpage séquentiel
Marji sort d’une déception avec Fernando qui s’est révélé brusquement homosexuel...
- La séquence se situe de 53’10” à 54’43” (soit 1’33”).
Plan 1 - Après avoir conclu que « l’amour est un sentiment petit-bourgeois » mais que « Life is life », Marji, apparemment indifférente au monde, s’absorbe dans sa lecture, silhouette noire (manteau et cheveux) isolée sur un banc sombre, se détachant sur un fond clair façon sfumato évoquant les brumes de l’automne. Elle lève des yeux tristes d’épagneul mais ouverts à ce qui se présente : une autre forme noire, en amorce, qui vient refermer le cadre.
Plans 2-3 - En contrechamp (point de vue de Marji) apparaît le visage clair, les cheveux blonds, souriant sur un fond de ciel presque blanc, contrastant avec le présage sombre du plan précédent. Une musique romantique renforce cette vision idyllique et un fondu enchaînéSurimpression d’une fermeture et d’une ouverture en fondu, ayant pour effet de faire disparaître une image pendant que la suivante apparaît. commente encore cette vision subjective en remplaçant le visage de Marcus par une boule reflétant la lumière par de multiples facettes, sur fond de ciel étoilé... Elle évoque la fête comme le cosmos : le destin a frappé à la porte de son imaginaire.
Plans 3 et 4 - Le sentiment de fête l’emporte dans une danse sur fond d’étoiles en mouvement. Leurs corps vêtus de vêtements collants noirs évoluent avec grâce, dans un accord immédiat, au gré de la musique. Un raccordFaçon de juxtaposer deux plans au montage. parfait dans le mouvement entre ces plans resserre le cadreLimite du champ visuel enregistré sur la pellicule. sur le couple, en soulignant l’harmonie et les regards amoureux. Pourtant, ce noir et le caractère totalement artificiel du décor (une boîte de nuit réduite à la nuit et des étoiles de pacotille) laisse planer une sourde inquiétude.
Plans 5-6) - Un fondu enchaînéSurimpression d’une fermeture et d’une ouverture en fondu, ayant pour effet de faire disparaître une image pendant que la suivante apparaît., suivant la proposition de Marcus (« Je te raccompagne ? »), amène un plan d’ensemble composé de surimpressions décalées d’une grande rue évoquant une ville plus viennoise qu’orientale, renvoyant le spectateur occidental aux clichés de l’Orient des contes, auquel appartient également cette voiture évoluant dans les airs tel un tapis de légende.
Plan 7 - À l’intérieur de la voiture, gros planPlan raproché du sujet principal. de Marji regardant amoureusement Marcus, mais avec encore une certaine réserve, marquée encore par son échec précédent : yeux grands ouverts et incrédules, bouche à peine dessinée d’un trait minime. Les étoiles en arrière-plan prolongent l’effet de merveilleux des plans précédents. Marji est « presque » au septième ciel.
Plan 8 - ContrechampEspace visuel opposé au champ. Il découvre le point de vue d’où était vu le champ. sur Marcus regardant vers Marji. La banalité du procédé renvoie à celle de la situation, vécue comme exceptionnelle par la jeune femme, mais très « cliché » pour le spectateur (renforcé par l’écho des étoiles en arrière-plan). Plus que dans le plan précédent, Marcus semble fixer directement Marji (et le spectateur). Nous sommes invités à partager la fascination de celle-ci pour cette apparition, cette blancheur (cheveux, visage) sur fond noir, et surtout ces yeux clairs et profonds, nécessairement sincères. [...]
Plan 10 - La caméra est de nouveau face au couple vu à travers le pare-brise. Mais cette fois, carrosserie et personnages sont en ombres chinoises. Retour à la formule de la lanterne magique qui ajoute encore à l’effet de cliché. Ces ombres dissolvent les personnages et leur personnalité : Marji perd conscience et devient un fantôme, mais un fantôme sombre, plein de menaces...
Plan 11 - Introduit par un ciel étoilé, le couple se retrouve en ombres chinoises, prolongeant l’effet du plan précédent, mais cette fois dans le mouvement d’une danse qui emporte les corps dans une sorte de paradis : arbre, lac, fleurs... Les deux canards rappellent les cygnes en mie de pain voguant sur l’eau après la mort de l’oncle Anouche. La fragile architecture décorative se plie à la composition végétale. Mais les sombres reflets sur le lac demeurent inquiétants.
Plan 12 - Fondu enchaînéSurimpression d’une fermeture et d’une ouverture en fondu, ayant pour effet de faire disparaître une image pendant que la suivante apparaît. sur Marcus qui emporte Marji dans son élan et dans une sorte d’apesanteur. Les deux silhouettes semblent identiques, le corps, la position de Marji répétant celui de Marcus, les écharpes blanches sur fond noir formant les mêmes angles. L’accord parfait se réalise physiquement.
Plan 13 - À l’accord physique succède l’accord intellectuel, artistique par un fondu enchaîné rapide. Un décor extérieur romantique à souhait comme dans un film de Douglas Sirk, avec passage de nuages diaphanes et feuilles qui se détachent au gré du vent d’automne... Le cadre de la fenêtre met en relief le couple, Marcus au travail à sa machine. Marji l’observant en retrait. Il crée, elle est la muse inspiratrice du grand écrivain... C’est peut-être là le bug que signalent les montants de la fenêtre, qui cassent la perfection de cette composition idyllique.
Plan 14 - Un voletTrucage consistant à remplacer une image par une autre, de part et d’autre d’une ligne, et au fur et à mesure que cette ligne se déplace. circulaire produit un rapide changement de lieu. La statue de Mozart - Autriche oblige -, sépare étrangement le couple. Un mouvement de caméra descendant nous a ramenés sur terre (du moins sur neige), le jeune futur prodige est tout à sa gloire rêvée, mais Marji est plus futile et enfantine, préférant une banale bataille de boules-de-neige. Un instant, recevant une boule dans le dos, Marcus se retourne le visage transformé, furieux, son extase narcissique rompue. Marji prend peur, Marcus bondit sur elle...
Plan 15 - En un instant, Marcus a repris ses esprits, le rêve amoureux se rétablit, bouleversant à nouveau l’équilibre du monde physique. Le couple descend à l’horizontale vers l’eau qui pourrait être celle du l