“La guerre civile espagnole (1936-1939) plongea dans l’horreur un pays divisé, où les deux camps - le républicain et le franquiste - furent à la fois auteurs et victimes de crimes et d’actes de répression terribles. Mais l’Histoire est écrite par les vainqueurs, et à la fin du conflit le camp franquiste, victorieux, éleva ses morts au rang de héros et condamna à l’oubli ceux de ses ennemis”, rappelle le quotidien El Mundo à ses lecteurs. Le nombre de morts du conflit continue de faire débat, mais de nombreux historiens l’évaluent entre 500 000 et 800 000 personnes. Parmi celles-ci, beaucoup de civils qui furent fusillés à l’arrière et enterrés anonymement dans des fosses communes ou sur le bas-côté des routes. A l’issue de la guerre, la dictature franquiste poursuit la répression. Jusque dans les années 1950, de très nombreux Espagnols sont exécutés sans procès et sans que leurs proches connaissent les circonstances de leur mort et le lieu de leur inhumation. Au total, entre la guerre et l’après-guerre, la répression franquiste aurait fait quelque 130 000 victimes, selon les calculs de l’historien Francisco Espinosa. Et, sur ce nombre, les corps de 30 000 à 50 000 personnes n’ont toujours pas été localisés ou identifiés. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui les “disparus du franquisme”.
Car à la terreur des années de dictature a succédé l’oubli de la démocratie rétablie. En 1977, deux ans après la mort de Franco, le Parlement espagnol vote une loi amnistiant tous les crimes politiques commis avant cette date, au motif que tout retour sur le passé empêcherait la consolidation de la démocratie. A partir de la fin des années 1990, des familles de disparus, bientôt aidées par des associations d’historiens et d’archéologues bénévoles, lancent des recherches pour localiser les fosses communes et identifier les corps. Le mouvement prend de l’ampleur en 2000 grâce à l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) et à son fondateur, Emilio Silva, qui parvient à retrouver les restes de son grand-père*. Depuis cette date, les associations - aujourd’hui au nombre de 200 - ont ouvert 171 fosses anonymes et exhumé 4 054 dépouilles. Pour accomplir ce travail, elles n’ont bénéficié jusqu’à présent que d’une aide très réduite de l’Etat. La loi sur la mémoire historique, adoptée en octobre 2007, stipule que les pouvoirs publics doivent “collaborer à la recherche, à la localisation et à l’identification” des disparus. Près d’un an après l’entrée en vigueur du texte, ce n’est pas encore le cas. L’initiative du juge Garzón vise peut-être à accélérer le processus.
* Lire à ce sujet Les Fosses du franquisme, le livre qu’il a coécrit avec Santiago Macías (Calmann-Lévy, 2006).
CI hebdo n° 933 - 18 sept. 2008