La Vénus dans le jardin de Monsieur de Peyrehorade

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Après sa découverte, la Vénus a été dressée dans le jardin de Monsieur de Peyrehorade. La jardin, selon la tradition locale, existe vraiment lui aussi, c’est celui de la maison du comte.

Actuellement, c’est un petit parc dans lequel se tiennent des événements culturels.

Les références dans le texte

Première soirée

"Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j’en ouvris une pour respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long souper. En face était le Canigou, d’un aspect admirable en tout temps, mais qui me parut ce soir-là la plus belle montagne du monde, éclairé qu’il était par une lune resplendissante. Je demeurai quelques minutes à contempler sa silhouette merveilleuse, et j’allais fermer ma fenêtre, lorsque, baissant les yeux, j’aperçus la statue sur un piédestal à une vingtaine de toises de la maison. Elle était placée à l’angle d’une haie vive qui séparait un petit jardin d’un vaste carré parfaitement uni, qui, je l’appris plus tard, était le jeu de paume de la ville. Ce terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui à la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils.

A la distance où j’étais, il m’était difficile de distinguer l’attitude de la statue ; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de six pieds environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient sur le jeu de paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du Roussillon : Montagnes régalades. Ils s’arrêtèrent pour regarder la statue ; un d’eux l’apostropha même à haute voix. Il parlait catalan ; mais j’étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu’il disait.

"Te voilà donc, coquine ! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà ! disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll ! Si tu étais à moi, je te casserais le cou.

 Bah ! avec quoi ? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure qu’Etienne a cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du cuivre du temps des païens ; c’est plus dur que je ne sais quoi.

 Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une amande de sa coquine. Il y a pour plus de cent sous d’argent." Ils firent quelques pas en s’éloignant.

"Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole", dit le plus grand des apprentis, s’arrêtant tout à coup. Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur. "Elle me l’a rejetée !" s’écria-t-il.

Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse. Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.

"Encore un Vandale puni par Vénus ! Puissent tous les destructeurs de nos vieux monuments avoir ainsi la tête cassée !" Sur ce souhait charitable, je m’endormis. Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient d’un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre ; de l’autre, un domestique envoyé par sa femme, une tasse de chocolat à la main."

Le lendemain matin

"Je descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable statue.

C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le haut du corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les grandes divinités ; la main droite, levée à la hauteur du sein, était tournée, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers doigts étendus, les deux autres légèrement ployés. L’autre main, rapprochée de la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la partie inférieure du corps. L’attitude de cette statue rappelait celle du Joueur de mourre qu’on désigne, je ne sais trop pourquoi, sous le nom de Germanicus. Peut-être avait-on voulu représenter la déesse jouant au jeu de mourre.

Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que le corps de cette Vénus ; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses contours ; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m’attendais à quelque ouvrage du Bas-Empire ; je voyais un chef-d’œuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c’était l’exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature produisait d’aussi parfaits modèles.

La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée autrefois. La tête, petite comme celle de presque toutes les statues grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait de celui d’aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n’était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise l’intention marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d’une incroyable beauté cependant. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, et plus on éprouvait le sentiment pénible qu’une si merveilleuse beauté pût s’allier à l’absence de toute sensibilité.

"Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et le doute que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses amants ! Elle a dû se complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a dans son expression quelque chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais vu rien de si beau.

 C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ! s’écria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme. Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la patine d’un vert noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre d’un mouvement de colère contre moi-même en me sentant un peu mal à mon aise devant cette figure de bronze.

"Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue en antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s’il vous plaît, une conférence scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à laquelle vous n’avez point pris garde encore ?"

Avant le jeu de paume

Dès huit heures j’étais assis devant la Vénus, un crayon à la main, recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue, sans pouvoir parvenir à en saisir l’expression. M. de Peyrehorade allait et venait autour de moi, me donnait des conseils, me répétait ses étymologies phéniciennes ; puis disposait des roses du Bengale sur le piédestal de la statue, et d’un ton tragi-comique lui adressait des voeux pour le couple qui allait vivre sous son toit. Vers neuf heures il rentra pour songer à sa toilette, et en même temps parut M. Alphonse, bien serré dans un habit neuf, en gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés, une rose à la boutonnière.

"Vous ferez le portrait de ma femme ? me dit-il en se penchant sur mon dessin. Elle est jolie aussi." En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j’ai parlé, une partie qui, sur-le-champ, attira l’attention de M. Alphonse. Et moi, fatigué, et désespérant de rendre cette diabolique figure, je quittai bientôt mon dessin pour regarder les joueurs.

Le lendemain de la mort d’Alphonse

"J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et n’en trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les assassins avaient pu s’introduire de ce côté ; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la veille avait d’ailleurs tellement détrempé le sol, qu’il n’aurait pu garder d’empreinte bien nette. J’observai pourtant quelques pas profondément imprimés dans la terre : il y en avait dans deux directions contraires, mais sur une même ligne, partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et aboutissant à la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un autre côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, ce devait être sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois, je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté ironique ; et, la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d’être le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison. "

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