N° 776, du 15 au 30 mai 1999 Sommaire
Un genre à part La nouvelle est un genre littéraire
à part. Il est difficile de la définir d'un mot,
elle a eu du mal à s'affranchir de sa proximité avec
le roman.
Par sa brièveté, la nouvelle offre un terrain privilégié pour étudier l’organisation fonctionnelle d’un récit. Genre assez malléable, elle possède cependant des caractéristiques qui lui donnent une véritable identité.
BRÈVE HISTOIRE DE LA NOUVELLE La
nouvelle naît en France à la fin du Moyen Âge.
Elle vient s’ajouter, et en partie se substituer, à
une multitude de récits brefs : fabliaux, lais, dits,
devis, exempla, contes, etc. Directement inspiré du
Décaméron (1349-1353) de l’Italien Boccace, le
premier recueil de nouvelles françaises, anonyme, Les Cent
Nouvelles Nouvelles, date de 1456-1457. Mais c’est le
XVIe siècle qui verra le véritable
essor du genre. En 1558, avec son Heptaméron, Marguerite de
Navarre, sœur de François Ier, donne
au genre ses premières lettres de noblesse : dans ce
recueil inachevé de 72 récits (il devait en
comporter cent au départ, comme le Décaméron,
dont il se voulait une imitation), voisinant avec les récits
licencieux traditionnels, on trouve des histoires plus graves, où
l’anecdote laisse en partie la place à l’analyse
psychologique, et dont la visée n’est plus le pur
divertissement ou une pédagogie sommaire, voire cynique,
mais une véritable édification morale. Publiées
en 1613 et traduites en français deux ans plus tard, les
Nouvelles exemplaires de Miguel de Cervantès, l’auteur
de Don Quichotte, connaissent un succès considérable
et constitueront pour longtemps la référence. Sous
leur influence, le genre va subir une évolution double et
en partie contradictoire, déterminée en fait par ses
relations avec le roman. D’un côté, et dans un
premier temps, on voit la nouvelle se rapprocher de celui-ci par
ses sujets et sa composition : ainsi, La Princesse de Clèves
de Mme de Lafayette est considérée, au moment de sa
parution, comme une nouvelle. Mais, d’autre part, celle-ci
se distingue du roman par une relative brièveté
(n’oublions pas que les romans de l’époque sont
extrêmement longs et touffus), une action tout de même
plus resserrée, et surtout un plus grand souci de réalisme,
voire de pittoresque. C’est cette conception qui, dans les
dernières décennies du XVIIIe siècle,
l’emportera finalement sur la nouvelle « petit
roman », et se développera au cours du siècle
suivant. Une histoire
de mots Nouvelle, novella, novela... ou bien short story,
Kurzgeschichte... De la terminologie utilisée, dans
diverses langues, pour désigner ce que nous appelons une
nouvelle, se dégagent deux grandes tendances. Or, si la
seconde dénomination met bien l’accent sur les deux
caractéristiques principales du genre, sa narrativité
et sa brièveté, la première se révèle
beaucoup plus problématique : on voit mal en effet, a
priori, le rapport entre le genre littéraire que nous
connaissons et la nouveauté que son nom semble lui
attribuer.
LA NOUVELLE EN EUROPE AU XXe SIÈCLE Par
comparaison, le XXe siècle marque un net
recul, en France du moins. Non seulement les journaux renoncent
progressivement à publier des nouvelles, mais les maisons
d’édition elles-mêmes deviennent très
méfiantes à l’égard des recueils,
qu’elles n’acceptent qu’avec parcimonie et
réticence. Et malgré un Camus ou un Sartre (qui ne
le pratiqua d’ailleurs qu’avec un certain mépris),
le genre est plutôt négligé par les auteurs
les plus prestigieux. Ce reflux s’explique sans doute en
partie par les enjeux théoriques de la littérature,
propres à la France à ce degré : d’André
Breton à Alain Robbe-Grillet, de Paul Valéry à
Nathalie Sarraute, le roman, et, à travers lui, la fiction
narrative en général, n’aura cessé
d’être mis en cause tout au long du siècle. Il
était donc assez logique que la nouvelle, genre narratif
s’il en fut, pâtît autant, sinon plus, que le
roman de ces attaques. D’où l’apparition, au
cours des cinquante dernières années, d’une
forme littéraire brève aussi peu narrative que
possible, évocation d’un instant d’existence,
description d’un fragment de réel ou pure exploration
du langage, comme chez Nathalie Sarraute (Tropismes en 1939),
Samuel Beckett (Nouvelles et Textes pour rien en 1955) ou encore
Alain Robbe-Grillet (Instantanés en 1969). Ainsi,
supplantée d’un côté par le roman grand
public, débordée de l’autre par les
« textes », la nouvelle en tant que telle
semble être devenue chez nous aujourd’hui un genre un
peu marginal, affaire de spécialistes, souvent talentueux
du reste : à Paul Morand, Marcel Aymé ou encore
Marcel Arland, ont succédé Daniel Boulanger, G. O.
de Chateaureynaud, Annie Saumont, Paul Fournel, etc. La nouvelle et la presse La presse connaît, au XIXe siècle, un essor extraordinaire. On dénombre, en 1850, pas moins de 31 titres à Paris et 64 en province ! Ce phénomène ne pouvait rester sans effet sur la littérature. De fait, la prolifération des revues, périodiques et surtout quotidiens (La Presse, Le Petit Journal, Le Journal des débats, Le Moniteur universel, Le Constitutionnel, Gil Blas, Le Gaulois, etc.) va influencer sous au moins quatre aspects la création littéraire du temps : – premièrement, en ouvrant leurs pages aux auteurs, jeunes ou plus ou moins confirmés, les journaux et les revues leur permettent de se faire connaître, de faire leurs premières armes, et souvent simplement de survivre ; – deuxièmement, la presse fournit aux écrivains sinon une source d’inspiration à proprement parler, du moins une mine d’arguments, de sujets, où ils puiseront largement ; on sait ce que Hugo, Stendhal, Maupassant ou Zola doivent à la lecture des faits divers ou de la chronique judiciaire ; – troisièmement, en élargissant le lectorat potentiel, la presse populaire contribue à ouvrir l’espace du roman et de la nouvelle à la vie quotidienne et au peuple ; – enfin, quatrièmement, les contraintes liées au support déterminent la manière même de raconter. L’espace restreint favorise en effet soit la publication des romans en feuilleton, soit la rédaction d’histoires brèves, donc de nouvelles. Dans les deux cas, ce n’est pas seulement sur la longueur matérielle, mais sur la structure même du récit que le mode de publication intervient.
EN AMÉRIQUE En Amérique
du Nord, la nouvelle apparaît, dès le XIXe siècle,
comme la forme littéraire privilégiée. Cela
s’explique d’abord par des raisons économiques :
les éditeurs préférant puiser dans le stock
des ouvrages anglais plutôt que de se risquer à
publier des écrivains américains, ceux-ci se
tournèrent vers les périodiques. Ainsi Hawthorne,
Poe, James, pour ne citer que les plus célèbres,
ont-ils inauguré une tradition largement perpétuée
jusqu’à aujourd’hui. Cependant, si la plupart
des romanciers américains de la première moitié
du siècle ont pratiqué la nouvelle (Fitzgerald,
Hemingway, Faulkner et, plus récemment, Salinger, Cheever,
Updike, etc.), ils ne l’ont fait généralement
qu’en complément de leur œuvre romanesque, si
l’on excepte quelques spécialistes (Carson Mac
Cullers, Flannery O’Connor). Or, depuis les années 70,
on assiste à un retour des « purs »
nouvellistes, phénomène en partie lié à
la prolifération des writing seminars, ces ateliers
d’écriture où, pour des raisons pratiques, la
forme brève s’impose aux apprentis écrivains
désireux de se familiariser avec la fiction narrative.
C’est dans ce contexte que s’est développé,
notamment, le fameux courant réaliste minimaliste (Jayne
Anne Philipps, Tobias Wolff), dont le chef de file fut Raymond
Carver. LA NOUVELLE ET LES AUTRES GENRES L’approche d’un genre
littéraire, quel qu’il soit, ne saurait se passer
d’une prise en compte de son historicité, mais aussi
d’une confrontation avec d’autres genres, qu’il
côtoie dans une relation à la fois de proximité
et de distance. C’est particulièrement vrai en ce qui
concerne la nouvelle. Comme genre mineur, elle n’a jamais pu
tout à fait s’affranchir de la tutelle des deux
genres majeurs qui, pour ainsi dire, l’encadrent : le
conte et le roman. Si hésitante et fluctuante soit-elle, la
ligne de partage entre le conte et la nouvelle concerne trois
grands aspects : le rapport au réel, l’oralité
et la visée morale. D’un ensemble au fond assez
brouillé de récits brefs médiévaux, il
semble que, dans un premier temps, la nouvelle et le conte se
soient peu à peu extraits, et, simultanément,
séparés sur ces trois registres : souci de
réalisme (ou au moins de vraisemblance) plus grand, oralité
progressivement moins marquée, et visée morale plus
discrète dans la première que dans le second. On ne
s’étonnera pas de constater que c’est au
XVIIe siècle – le temps des
catégories par excellence – et au XVIIIe siècle
que la distinction est la plus nette : le conte classique,
qu’il soit de fées ou philosophique, est en effet
avant tout un récit merveilleux et édifiant, adressé
à un enfant ou un adulte. Mais le XIXe siècle
verra les deux genres se confondre à nouveau : ainsi,
tous les efforts pour expliquer et justifier l’appellation
de contes ou de nouvelles chez un Poe ou un Maupassant se sont
révélés peu probants ; les deux termes
– et d’autres à l’occasion, comme
histoires ou récits – semblent bien être
utilisés indifféremment. Quant au XXe siècle,
il évacue d’une certaine façon la question. Le
terme générique de conte y est en effet devenu
plutôt rare, et fait en principe référence au
conte merveilleux ou philosophique, comme emprunt, citation ou
archaïsme avoué. Le recueil
de nouvelles À l’instar du poème, la nouvelle
n’est jamais publiée seule, mais toujours en
compagnie d’autres textes, de natures semblables ou
différentes, selon qu’elles s’insère
dans un journal, une revue ou un recueil.
CARACTÉRISTIQUES DE LA NOUVELLE Toute tentative pour définir
clairement, absolument et définitivement la nouvelle est
vouée à l’échec. Faut-il pour autant
renoncer à caractériser le genre ? Sans doute
pas. Et les critères avancés généralement
ne sont pas les moins pertinents, à condition de les
nuancer par la variabilité commune, somme toute, à
tous les genres. La réception de la nouvelle
C’est dans les années 70 qu’est née
et s’est développée, dans le domaine de la
recherche littéraire, ce qu’on appelle la théorie
de la réception. Soucieuse d’échapper à
la fois à la conception idéaliste d’une œuvre
autonome, pure création de l’artiste, et au
matérialisme un peu mécanique d’une
œuvre-reflet, réduite à ses déterminations
socio-économiques, l’esthétique de la
réception privilégie la relation entre l’œuvre
et son public : ainsi, si l’auteur aborde des thèmes
et construit une forme propres à susciter un mode de
lecture particulier, le lecteur, de son côté, par ses
horizons d’attente, variables selon les milieux et les
époques, détermine ou infléchit les choix
thématiques et formels de l’auteur. – brièveté et unité du récit : celui-ci doit pouvoir, à la différence du roman, être lu d’une seule traite ; ainsi surplombée, saisie dans sa globalité, la nouvelle offre au lecteur la possibilité non seulement de sa parfaite mémorisation, mais même de sa relecture aisée ; – le tropisme de la fin : en dépit des évolutions, la chute, la clausule, continuent d’orienter, consciemment ou inconsciemment, la lecture de la nouvelle ; d’où, entre autres, une attention particulière à toutes les amorces, tous les indices susceptibles d’annoncer cette fin, dont le lecteur attend et espère l’effet ; – la voix du conteur : la nouvelle a conservé de son origine une tonalité volontiers orale, le narrateur s’adressant souvent directement au lecteur. Ce procédé introduit entre celui-ci et l’œuvre une distance qui, loin de le frustrer, contribue en principe à son plaisir, d’ordre souvent plus intellectuel que véritablement sensible ou émotionnel. Ajoutons que l’esthétique de la réception peut se muer, à l’occasion, en esthétique de la déception : l’auteur est en effet toujours libre de frustrer le lecteur en dérangeant ses horizons d’attente !
ESTHÉTIQUE ET ÉTHIQUE DE LA NOUVELLE Pourquoi, au total, écrire et lire des nouvelles ? Besoin d’argent ou manque de souffle d’auteurs exsangues ? Tentation de la facilité ou sentiment d’urgence de lecteurs pressés ? Ces motivations contingentes et triviales ne doivent pas être négligées. On ne saurait pourtant s’en satisfaire. Tout porte à croire que l’amateur de nouvelles (d’une expression qui associe heureusement auteur et lecteur, et convient bien au genre) trouve dans cette forme littéraire la satisfaction d’un goût qui, consciemment ou pas, renvoie à une esthétique, et sans doute une éthique. Écrire et lire des nouvelles, c’est avant tout faire le choix de la légèreté et de la suggestion. En optant pour la narrativité, voire l’anecdote, le nouvelliste refuse l’emphase un peu mystique du poète ; en privilégiant la brièveté, la concentration et l’ellipse, il récuse la logorrhée impérialiste du romancier. Art de l’esquive, la nouvelle est le genre de la distance par excellence. En elle, nulle dramatisation de l’acte d’écrire. Moins œuvre que produit artisanal, elle est le fait de l’écrivain-bricoleur plus que de l’artiste-voyant. Ici règnent le dilettantisme courtois, l’humour parfois tragique mais jamais grave, et cet air de ne pas y toucher qui est comme un signe de ralliement pour happy few, la marque de fabrique d’un genre qui, plutôt que d’aspirer à être reconnu comme majeur, aurait tout à gagner à s’assumer résolument comme mineur. Art poétique, donc, et au-delà, véritable sagesse peut-être, que résume en somme ce célèbre programme : « Small is beautiful ! » © SCÉRÉN -
CNDP Le traitement narratif Les éléments constitutifs de la nouvelle.
Voici les
points forts du récit court qu’est la nouvelle.
L’ACTION Dans sa forme traditionnelle, la nouvelle rapporte une action relativement simple, caractérisée à la fois par son unicité et son unité. L’accent est mis sur l’anecdote, qui se doit en principe d’être frappante, hors du commun. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la nouvelle a si souvent trouvé dans le genre fantastique son univers de prédilection. Débarrassé de tous ses aspects non strictement narratifs (dialogues, descriptions, commentaires) ou périphériques par rapport à l’intrigue (intrigues secondaires, études sociales, considérations théoriques), le récit se concentre sur l’essentiel : le chemin, souvent rectiligne, qui mène, par une ou plusieurs transformations, d’une situation initiale à une situation finale. Cependant, parallèlement à cette nouvelle dynamique, essentiellement narrative, s’est constituée, principalement au XXe siècle, une nouvelle plus statique, plus descriptive, voire lyrique, dépourvue de toute véritable action, centrée sur un épisode apparemment banal et anodin, parfois même un non-événement, un rien, un instant comme suspendu hors du temps, mais lourd de sens en ce qu’il restitue, quelquefois dans son inanité même, quelque expérience intérieure tragique annoncée d’emblée ou révélée à la fin. LA NARRATION À cette unité d’action correspond généralement une unité de point de vue. On sait que la plurivocalité, la polyphonie caractérisent la narration romanesque. À l’inverse, dans la nouvelle, le point de vue est généralement unique, ne serait-ce que parce que le nombre de personnages y est plus limité et que la dimension collective de l’expérience rapportée y est moins marquée que dans le roman. Cette univocité est d’ailleurs à mettre en relation avec un autre trait récurrent du genre : la présence perceptible d’un conteur, instance narrative qui fait entendre sa voix, conférant au récit sa dimension orale, et établissant avec le lecteur une relation concrète, actualisée au sein du texte lui-même. Ainsi, dans le roman, le récit est tout de même majoritairement pris en charge par un narrateur au premier degré, hors de l’action. Dans la nouvelle, selon une fréquence proportionnellement beaucoup plus grande, l’on a affaire à un narrateur au second degré, comme dans Le Décaméron et toutes les nouvelles « encadrées » où un conteur raconte à un auditoire une ou plusieurs histoires dont il est ou n’est pas le protagoniste, ou à un narrateur à l’intérieur de l’histoire comme témoin, voire à l’intérieur de l’histoire comme héros. LE PERSONNAGE Le principe d’économie inhérent à la nouvelle interdit pratiquement la révélation progressive et/ou la transformation lente d’un personnage complexe, confronté au monde et aux autres. En ce sens, il paraît difficile de parler de nouvelle d’apprentissage comme on parle de roman d’apprentissage. Le personnage de la nouvelle est tantôt isolé (Le Horla), tantôt associé à un groupe restreint (Boule de suif), et donné d’un seul coup, par une caractérisation sociale, physique et psychologique dessinée à grands traits. En ce sens, il a tendance à se conformer, au départ du moins, à un archétype, voire à un stéréotype. S’il demeure souvent inchangé jusqu’à la fin, il arrive également que le récit relate précisément la crise au terme de laquelle sa métamorphose aura lieu à moins encore que celle-ci n’ait lieu dès le début (comme dans La Métamorphose de Kafka). Quoi qu’il en soit, le personnage de nouvelle n’a sans doute pas l’épaisseur du personnage de roman. Mais, loin d’être un manque, cette évanescence fait au contraire sa particularité et son intérêt : en elle réside en effet une part de son mystère, dont on ne s’étonnera pas, là encore, que le fantastique ait pu tirer profit. LE TEMPS L’on ne saurait affirmer que la brièveté matérielle de la nouvelle a pour inévitable corollaire la brièveté de l’histoire qu’elle raconte : certaines nouvelles (de Marcel Schwob ou Borges par exemple) survolent en effet une existence entière. Mais il s’agit là de contre-exemples assez marginaux, plutôt récents, et qui, d’ailleurs, exigent ellipses et schématisation. Le plus souvent, le temps de l’histoire est relativement court, sans qu’il soit guère possible d’aller plus loin dans la délimitation de cette durée moyenne, jusqu’au cas extrême de la nouvelle-instant, qui s’attache à un fragment de temps si éphémère et fugitif qu’il en paraît même comme extrait, figé, hors de toute temporalité. D’une façon générale, alors que le roman donne au lecteur le sentiment du temps qui passe, d’une lente transformation des êtres et des choses, la nouvelle, elle, viserait plutôt à fixer un événement à la fois fugace et fondateur, ou au moins un moment de crise, dont les tenants et aboutissants sont, par la force des choses, laissés sous silence ou simplement suggérés. Dès lors, le sentiment illusoire, qu’éprouve souvent le lecteur de roman, d’une coïncidence entre le temps du récit et le temps de l’histoire, illusion que seule la durée peut produire, tend ici à disparaître. L’ESPACE Ce qui vaut pour le temps vaut également pour l’espace. Si ancré soit-il dans une réalité historique et sociale, l’espace romanesque constitue généralement un monde complexe, stratifié protéiforme. En comparaison, l’espace de la nouvelle apparaît comme un fragment isolé. Les lieux y sont restreints, par leur nombre et par leur configuration. On a d’ailleurs souvent noté leur caractère conventionnel : lieux clos, espaces publics, décors connus, immédiatement identifiables (nul besoin de les décrire longuement), mais également propices par leur disposition ou leur fonction, à la mise en place du dispositif narratif (lieux de rencontre par exemple), et éventuellement symboliques de la situation ou du personnage. Dans la nouvelle moderne, la nouvelle-instant dont il a été question précédemment, la dimension spatiale a d’ailleurs tendance à prendre le pas sur la dimension temporelle : ainsi la nouvelle se transforme-t-elle insidieusement en poème en prose, et le récit de l’expérience en description du paysage intérieur. LE DÉBUT L’incipit de la nouvelle se distingue assez fréquemment de celui du roman. Rapidité et concentration y font naturellement loi, au point que tout y est parfois donné d’un trait. D’ailleurs, contrairement au roman, dans la nouvelle l’intérêt du lecteur repose rarement sur ce qu’il est convenu d’appeler le suspense. Il s’agit plutôt de suivre le fonctionnement, attendu ou inattendu, d’un mécanisme enclenché dès la première page, parfois même dès la première phrase. On parle volontiers, à propos des nouvelles, de fins ouvertes et de fins fermées (voir paragraphe suivant). Mais cela vaut également pour les débuts. Tantôt le récit commence, si l’on peut dire, au commencement de l’action proprement dite, et sans remonter très loin dans le temps, mais en résumant éventuellement d’une phrase tout ce qui a précédé, tantôt in medias res, et quelquefois non sans une certaine brutalité : ainsi l’effet de surprise joue-t-il souvent à plein dès les premiers mots du récit. LA FIN Selon Frédéric Deloffre, « toute nouvelle est conçue en fonction du dénouement » : sans être une règle absolue, il faut reconnaître que la fin joue, dans la nouvelle traditionnelle, un rôle privilégié. C’est d’ailleurs ce qui a pu faire reprocher au genre son caractère quelque peu rhétorique, artificiel, voire mécanique. Les auteurs de nouvelles prennent en effet souvent soin de forclore le récit, comme s’il s’agissait peut-être de compenser sa brièveté par sa perfection formelle. Ainsi la nouvelle se présente-t-elle fréquemment comme un « petit tout » clos sur lui-même, parfaitement achevé. On notera ainsi la fréquence de la clausule, ou de la chute, pointes conclusives brutales et surprenantes, qui rompent si soudainement avec ce qui précède qu’elles peuvent même aller parfois jusqu’à en changer le sens et appeler à sa relecture et sa réinterprétation. Il existe cependant nombre de nouvelles, là encore surtout au XXe siècle, qui se refusent à jouer le jeu un peu mondain de la clausule, et optent au contraire pour l’inachèvement, l’ouverture, sans d’ailleurs que l’effet de surprise en soit forcément atténué. © SCÉRÉN -
CNDP
|