N° 776, du 15 au 30 mai 1999

Sommaire

Le Point

Un genre à part

La nouvelle est un genre littéraire à part. Il est difficile de la définir d'un mot, elle a eu du mal à s'affranchir de sa proximité avec le roman.
Elle possède cependant des caractéristiques propres dues à sa brièveté.


Par sa brièveté, la nouvelle offre un terrain privilégié pour étudier l’organisation fonctionnelle d’un récit. Genre assez malléable, elle possède cependant des caractéristiques qui lui donnent une véritable identité.


On tient généralement la nouvelle pour un genre insaisissable. Flou, hésitant, hybride, protéiforme, tels sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent à son sujet. Ce constat un peu navré est devenu le préambule obligé de toute étude sur une forme littéraire réputée victime d’une double malédiction : à la fois trop étroite, dans sa dimension et son ambition, pour recevoir les honneurs des institutions littéraires, et trop large, dans son acception et ses manifestations, pour mériter ceux de la recherche universitaire.
Qu’en est-il exactement ?
Les genres littéraires, on le sait bien aujourd’hui, ne sont pas des essences. Il ne saurait donc être question d’en donner une définition absolue puisque, à quelques exceptions près, les textes qui les constituent en excèdent toujours plus ou moins les limites. La nouvelle n’échappe pas à ce phénomène. Lui est-il spécifique ? Certainement pas. Prend-il même, en ce qui la concerne, une force ou une ampleur particulières ? Rien n’est moins sûr. Et le roman, auquel on la compare souvent, ne se laisse pas plus aisément circonscrire, ce qui n’a nullement empêché la prolifération des études sur son compte.
S’agissant de la définition de la nouvelle comme genre littéraire, trois remarques semblent s’imposer. D’abord, si l’on entend par définition la mise en évidence d’un paradigme, posé a priori ou recueilli a posteriori, aux frontières nettement dessinées et parfaitement imperméables, il est en effet impossible de définir la nouvelle. Mais ni plus ni moins que la plupart des autres genres littéraires. Ensuite, cela n’interdit pas de chercher à dégager des invariants, ou tout au moins des formes récurrentes, qui permettent d’élaborer sinon un type idéal, du moins une typologie acceptable. Enfin, une telle entreprise ne saurait faire l’économie d’une prise en compte et de l’historicité du genre et de ses relations avec d’autres genres voisins.

BRÈVE HISTOIRE DE LA NOUVELLE

La nouvelle naît en France à la fin du Moyen Âge. Elle vient s’ajouter, et en partie se substituer, à une multitude de récits brefs : fabliaux, lais, dits, devis, exempla, contes, etc. Directement inspiré du Décaméron (1349-1353) de l’Italien Boccace, le premier recueil de nouvelles françaises, anonyme, Les Cent Nouvelles Nouvelles, date de 1456-1457. Mais c’est le XVIe siècle qui verra le véritable essor du genre. En 1558, avec son Heptaméron, Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, donne au genre ses premières lettres de noblesse : dans ce recueil inachevé de 72 récits (il devait en comporter cent au départ, comme le Décaméron, dont il se voulait une imitation), voisinant avec les récits licencieux traditionnels, on trouve des histoires plus graves, où l’anecdote laisse en partie la place à l’analyse psychologique, et dont la visée n’est plus le pur divertissement ou une pédagogie sommaire, voire cynique, mais une véritable édification morale. Publiées en 1613 et traduites en français deux ans plus tard, les Nouvelles exemplaires de Miguel de Cervantès, l’auteur de Don Quichotte, connaissent un succès considérable et constitueront pour longtemps la référence. Sous leur influence, le genre va subir une évolution double et en partie contradictoire, déterminée en fait par ses relations avec le roman. D’un côté, et dans un premier temps, on voit la nouvelle se rapprocher de celui-ci par ses sujets et sa composition : ainsi, La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette est considérée, au moment de sa parution, comme une nouvelle. Mais, d’autre part, celle-ci se distingue du roman par une relative brièveté (n’oublions pas que les romans de l’époque sont extrêmement longs et touffus), une action tout de même plus resserrée, et surtout un plus grand souci de réalisme, voire de pittoresque. C’est cette conception qui, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, l’emportera finalement sur la nouvelle « petit roman », et se développera au cours du siècle suivant.
On s’accorde à considérer le XIXe siècle comme l’âge d’or de la nouvelle. Et de Balzac (Contes drolatiques) à Flaubert (Trois Contes), de Hugo (Claude Gueux) à Stendhal (Chroniques italiennes), de Musset (Nouvelles) à Barbey d’Aurevilly (Les Diaboliques), de George Sand (Nouvelles) à Zola (Contes à Ninon), il n’est guère de romancier d’importance qui n’ait écrit de nouvelles, et même de recueil de nouvelles. Sans parler bien sûr des deux « spécialistes » : Mérimée et surtout Maupassant, le maître incontesté (dix-huit recueils publiés de son vivant !). Si la nouvelle française exploite alors surtout les deux veines apparemment opposées du réalisme et du fantastique, il n’est guère de thèmes qu’elle n’aborde, guère de tons qu’elle n’emprunte. Au reste, son prestige ne se limite pas à la France : en témoignent, entre autres, Hoffmann, Poe, James, Melville, Pouchkine, Gogol, Tchekhov, et bien d’autres. Il convient enfin de rappeler que c’est au cours du XIXe siècle que sont proposées les théories les plus élaborées du genre, d’abord en Allemagne (Goethe, Schlegel), puis aux États-Unis (Poe et James).

Une histoire de mots Nouvelle, novella, novela... ou bien short story, Kurzgeschichte... De la terminologie utilisée, dans diverses langues, pour désigner ce que nous appelons une nouvelle, se dégagent deux grandes tendances. Or, si la seconde dénomination met bien l’accent sur les deux caractéristiques principales du genre, sa narrativité et sa brièveté, la première se révèle beaucoup plus problématique : on voit mal en effet, a priori, le rapport entre le genre littéraire que nous connaissons et la nouveauté que son nom semble lui attribuer.
Lorsqu’il apparaît en France au cours du Moyen Âge, le mot « novele », directement traduit de l’italien « novella », signifie d’abord : fait récent. C’est vers le XVe siècle que, toujours en référence à l’italien, il se met à désigner un « récit concernant un événement présenté comme réel et récent » (Dictionnaire historique de la langue française). Ainsi s’opère un double glissement qui explique le lien entre les deux sens du mot : fait nouveau et genre littéraire ; mais aussi simple constat de cette nouveauté (caractéristique objective du fait en question) et affirmation de celle-ci comme une propriété positive. Revendication qui ne va pas de soi : jusqu’alors, en effet, c’était plutôt l’ancienneté de l’histoire qui en faisait le prix. Tout se passe donc comme si, déjà en cette fin du Moyen Âge, l’originalité se trouvait, pour la première fois peut-être, présentée sinon comme une valeur en soi, du moins comme LA qualité susceptible de piquer la curiosité du public. D’où le titre du premier recueil de nouvelles françaises : Les Cent Nouvelles Nouvelles, titre plaisant sans doute, en ce qu’il joue sur la réduplication du nom par l’adjectif (en référence aux cent nouvelles du Décaméron de Boccace, ici... renouvelé !), mais qui n’en insiste pas moins, par sa spectaculaire redondance, sur cette fameuse innovation censée faire tout l’intérêt de l’ouvrage.


LA NOUVELLE EN EUROPE AU XXe SIÈCLE

Par comparaison, le XXe siècle marque un net recul, en France du moins. Non seulement les journaux renoncent progressivement à publier des nouvelles, mais les maisons d’édition elles-mêmes deviennent très méfiantes à l’égard des recueils, qu’elles n’acceptent qu’avec parcimonie et réticence. Et malgré un Camus ou un Sartre (qui ne le pratiqua d’ailleurs qu’avec un certain mépris), le genre est plutôt négligé par les auteurs les plus prestigieux. Ce reflux s’explique sans doute en partie par les enjeux théoriques de la littérature, propres à la France à ce degré : d’André Breton à Alain Robbe-Grillet, de Paul Valéry à Nathalie Sarraute, le roman, et, à travers lui, la fiction narrative en général, n’aura cessé d’être mis en cause tout au long du siècle. Il était donc assez logique que la nouvelle, genre narratif s’il en fut, pâtît autant, sinon plus, que le roman de ces attaques. D’où l’apparition, au cours des cinquante dernières années, d’une forme littéraire brève aussi peu narrative que possible, évocation d’un instant d’existence, description d’un fragment de réel ou pure exploration du langage, comme chez Nathalie Sarraute (Tropismes en 1939), Samuel Beckett (Nouvelles et Textes pour rien en 1955) ou encore Alain Robbe-Grillet (Instantanés en 1969). Ainsi, supplantée d’un côté par le roman grand public, débordée de l’autre par les « textes », la nouvelle en tant que telle semble être devenue chez nous aujourd’hui un genre un peu marginal, affaire de spécialistes, souvent talentueux du reste : à Paul Morand, Marcel Aymé ou encore Marcel Arland, ont succédé Daniel Boulanger, G. O. de Chateaureynaud, Annie Saumont, Paul Fournel, etc.
La situation de la nouvelle dans le reste de l’Europe varie beaucoup selon les pays. Il semblerait que, globalement, on assiste à un phénomène un peu inverse : non que la nouvelle s’y révèle un genre franchement majeur. Mais s’il suscite au total assez peu de vocations exclusives, en revanche, de grands romanciers continuent de le pratiquer.
Force est cependant de constater qu’en Allemagne et en Autriche, les grands nouvellistes du début du siècle (Kafka, bien sûr, mais aussi Perutz, Schnitzler, Zweig, Musil même) n’ont guère eu d’héritiers dans cette forme. Une relative désaffection s’observe également en Angleterre, à un degré moindre (Maugham, Woolf, Lessing plus récemment, Graham Swift aujourd’hui). C’est finalement en Russie et en Italie que la nouvelle européenne a le mieux résisté.
En Russie, après l’extraordinaire vitalité de la nouvelle à la fin du siècle précédent (Pouchkine, Gogol, Tourgueniev, Tchekhov, Tolstoï, Gorki, mais aussi Korolenko, Andreïev, Kouprine), les écrivains officiels du régime stalinien optent plutôt pour le roman, plus massif, plus solennel, plus « totalitaire », et finalement plus propre à l’édification des masses laborieuses. Mais, dès les premiers signes de dégel, on voit refleurir, à l’intérieur même du pays (Kazakov, Tendriakov, Trifonov, Choukchine), un genre avec lequel les écrivains exilés n’auront jamais rompu (Alexis Tolstoï, Nabokov, Berberova).
En Italie, le succès du récit bref contraste avec la relative et étonnante pauvreté de la littérature romanesque. Depuis son « invention » par Boccace, la nouvelle n’a cessé d’attirer les plus grands auteurs, toutes générations confondues, comme Verga, Pirandello, Landolfi, Buzzati, Malaparte, flambeau repris hier par Calvino et aujourd’hui par Tabucchi.

La nouvelle et la presse La presse connaît, au XIXe siècle, un essor extraordinaire. On dénombre, en 1850, pas moins de 31 titres à Paris et 64 en province ! Ce phénomène ne pouvait rester sans effet sur la littérature. De fait, la prolifération des revues, périodiques et surtout quotidiens (La Presse, Le Petit Journal, Le Journal des débats, Le Moniteur universel, Le Constitutionnel, Gil Blas, Le Gaulois, etc.) va influencer sous au moins quatre aspects la création littéraire du temps :

      –  premièrement, en ouvrant leurs pages aux auteurs, jeunes ou plus ou moins confirmés, les journaux et les revues leur permettent de se faire connaître, de faire leurs premières armes, et souvent simplement de survivre ;

      –  deuxièmement, la presse fournit aux écrivains sinon une source d’inspiration à proprement parler, du moins une mine d’arguments, de sujets, où ils puiseront largement ; on sait ce que Hugo, Stendhal, Maupassant ou Zola doivent à la lecture des faits divers ou de la chronique judiciaire ;

      –  troisièmement, en élargissant le lectorat potentiel, la presse populaire contribue à ouvrir l’espace du roman et de la nouvelle à la vie quotidienne et au peuple ;

      –  enfin, quatrièmement, les contraintes liées au support déterminent la manière même de raconter. L’espace restreint favorise en effet soit la publication des romans en feuilleton, soit la rédaction d’histoires brèves, donc de nouvelles. Dans les deux cas, ce n’est pas seulement sur la longueur matérielle, mais sur la structure même du récit que le mode de publication intervient.


EN AMÉRIQUE

En Amérique du Nord, la nouvelle apparaît, dès le XIXe siècle, comme la forme littéraire privilégiée. Cela s’explique d’abord par des raisons économiques : les éditeurs préférant puiser dans le stock des ouvrages anglais plutôt que de se risquer à publier des écrivains américains, ceux-ci se tournèrent vers les périodiques. Ainsi Hawthorne, Poe, James, pour ne citer que les plus célèbres, ont-ils inauguré une tradition largement perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Cependant, si la plupart des romanciers américains de la première moitié du siècle ont pratiqué la nouvelle (Fitzgerald, Hemingway, Faulkner et, plus récemment, Salinger, Cheever, Updike, etc.), ils ne l’ont fait généralement qu’en complément de leur œuvre romanesque, si l’on excepte quelques spécialistes (Carson Mac Cullers, Flannery O’Connor). Or, depuis les années 70, on assiste à un retour des « purs » nouvellistes, phénomène en partie lié à la prolifération des writing seminars, ces ateliers d’écriture où, pour des raisons pratiques, la forme brève s’impose aux apprentis écrivains désireux de se familiariser avec la fiction narrative. C’est dans ce contexte que s’est développé, notamment, le fameux courant réaliste minimaliste (Jayne Anne Philipps, Tobias Wolff), dont le chef de file fut Raymond Carver.
Moins vivace qu’en Amérique du Nord, quoique née dans des conditions assez comparables (accueil par les revues et périodiques d’auteurs rejetés par une infrastructure éditoriale faible et essentiellement favorable au roman), la nouvelle d’Amérique latine présente cependant quelques monuments incontournables : les Argentins Borges, Bioy Casares et Cortázar, les Uruguayens Quiroga et Onetti, ou encore, aujourd’hui, le Chilien Sepúlveda. Et si, aux États-Unis, la tendance réaliste semble l’emporter, c’est dans la veine du fantastique, ou plus exactement de ce que le romancier cubain Alejo Carpentier a appelé le « réel merveilleux », que, à l’instar du roman, la nouvelle hispano-américaine, davantage influencée par l’Europe (en particulier par Kafka), a largement puisé.

LA NOUVELLE ET LES AUTRES GENRES

L’approche d’un genre littéraire, quel qu’il soit, ne saurait se passer d’une prise en compte de son historicité, mais aussi d’une confrontation avec d’autres genres, qu’il côtoie dans une relation à la fois de proximité et de distance. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la nouvelle. Comme genre mineur, elle n’a jamais pu tout à fait s’affranchir de la tutelle des deux genres majeurs qui, pour ainsi dire, l’encadrent : le conte et le roman. Si hésitante et fluctuante soit-elle, la ligne de partage entre le conte et la nouvelle concerne trois grands aspects : le rapport au réel, l’oralité et la visée morale. D’un ensemble au fond assez brouillé de récits brefs médiévaux, il semble que, dans un premier temps, la nouvelle et le conte se soient peu à peu extraits, et, simultanément, séparés sur ces trois registres : souci de réalisme (ou au moins de vraisemblance) plus grand, oralité progressivement moins marquée, et visée morale plus discrète dans la première que dans le second. On ne s’étonnera pas de constater que c’est au XVIIe siècle – le temps des catégories par excellence – et au XVIIIe siècle que la distinction est la plus nette : le conte classique, qu’il soit de fées ou philosophique, est en effet avant tout un récit merveilleux et édifiant, adressé à un enfant ou un adulte. Mais le XIXe siècle verra les deux genres se confondre à nouveau : ainsi, tous les efforts pour expliquer et justifier l’appellation de contes ou de nouvelles chez un Poe ou un Maupassant se sont révélés peu probants ; les deux termes – et d’autres à l’occasion, comme histoires ou récits – semblent bien être utilisés indifféremment. Quant au XXe siècle, il évacue d’une certaine façon la question. Le terme générique de conte y est en effet devenu plutôt rare, et fait en principe référence au conte merveilleux ou philosophique, comme emprunt, citation ou archaïsme avoué.
Si la nouvelle et le roman se sont toujours fait plus ou moins concurrence, c’est qu’ils se ressemblent au point, parfois, de se confondre, comme dans la nouvelle « petit roman » du XVIIe siècle (La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette), ou la longue nouvelle du XVIIIe siècle (Le Diable amoureux de Cazotte) et du XIXe siècle (Carmen de Mérimée), ou encore certains récits du XXe siècle (Paludes de Gide). La nouvelle a d’ailleurs souvent été perçue, non sans condescendance, comme un roman en réduction, ou une ébauche de roman : on cite volontiers l’exemple de Kafka reprenant Le Soutier pour en faire le premier chapitre d’Amérique, ou encore de Hugo dessinant avec son Claude Gueux la première esquisse de Jean Valjean. Il n’est pourtant pas interdit de considérer, à l’inverse, certains romans comme des compilations ou des montages de nouvelles (le roman médiéval, le roman précieux, le roman picaresque, etc.), voire des nouvelles en expansion, comme le suggère avec humour la définition d’Ambrose Pierce : « Roman : nouvelle considérablement boursouflée. » Quoi qu’il en soit, la rivalité entre nouvelle et roman s’est historiquement plutôt traduite, en France, par la victoire du second sur la première.
Alors que les critères retenus pour distinguer la nouvelle et le conte portent plutôt sur le contenu, c’est d’abord sur des aspects formels qu’on a coutume d’opposer nouvelle et roman : structure, temporalité, modes de réception... (voir Repères). En ce sens, plutôt que de brièveté, on parlera de simplicité, d’unité, de concentration. La différence d’ampleur matérielle (l’épaisseur du volume, le nombre de pages) ne serait en effet que secondaire si elle ne renvoyait à une divergence plus essentielle sur la manière de raconter une histoire, de traiter des personnages, de s’adresser au lecteur. En revanche, il n’est pas certain, contrairement à ce qu’on a pu prétendre quelquefois, que ces différences formelles se retrouvent sur le plan thématique. Ainsi les sujets de romans et de nouvelles au XIXe siècle présentent-ils une convergence incontestable. Et l’émergence, au XXe siècle, d’un nouveau type de sujets de nouvelles n’est pas sans rapport avec la transformation parallèle des thèmes romanesques.
L’appartenance de la nouvelle à la catégorie du récit amène tout naturellement à la confronter aux autres genres narratifs. Pourtant, Edgar A. Poe, qui fut non seulement un très grand nouvelliste, mais également l’un des rares théoriciens du genre, posant la brièveté comme norme première, n’hésite pas à rapprocher la nouvelle d’un autre genre bref par excellence : le poème lyrique. C’est d’ailleurs moins la brièveté en tant que telle que l’unité du texte et les conditions de réception, qui en découlent ou qui l’induisent, qui, d’après Poe, légitiment ce voisinage ; comme le poème lyrique, la nouvelle se laisse appréhender globalement, et c’est ce qui fait sa supériorité : « Si un ouvrage littéraire est trop long pour se laisser lire en une seule séance, il faut nous résigner à nous priver de l’effet prodigieusement important qui résulte de l’unité d’impression ; car, si deux séances sont nécessaires, les affaires du monde s’interposent, et tout ce que nous appelons l’ensemble, totalité, se trouve détruit du coup. » On sait que ce texte a été traduit par Baudelaire. Or il pose justement la question du statut, entre autres, du poème en prose. Il amène également à s’interroger sur l’appartenance générique d’un certain nombre de textes contemporains, brefs, peu narratifs, non identifiés explicitement et, si l’on peut dire, officiellement, comme poèmes.
Le principal intérêt de ce rapprochement entre la nouvelle et le poème lyrique est de mettre l’accent sur la réception, aspect capital quoique trop longtemps négligé, de l’œuvre littéraire. Cela ne suffit cependant pas à le rendre totalement convaincant. Il semble bien, au contraire, que la nouvelle ressortisse irréductiblement au mode narratif, et qu’il soit permis de voir là l’un de ses traits fondamentaux.

Le recueil de nouvelles À l’instar du poème, la nouvelle n’est jamais publiée seule, mais toujours en compagnie d’autres textes, de natures semblables ou différentes, selon qu’elles s’insère dans un journal, une revue ou un recueil.
Ce dernier apparaît généralement comme un ensemble plus ou moins cohérent et signifiant, et cela dès l’origine : dans Le Décaméron, dix narrateurs réunis vont raconter leurs histoires. Ce topos sera repris maintes et maintes fois, de L’Heptaméron aux Contes de la bécasse.
Outre ce fil rouge narratif, les récits qui composent un recueil présentent souvent entre eux un ou plusieurs éléments communs : personnage, lieu, thème, etc. Il arrive même que le nouvelliste conçoive d’abord l’idée de son recueil, comme une architecture savante, avant d’écrire les textes qui viendront remplir cette forme vide. Il existe cependant bon nombre de recueils qui doivent tout au hasard ou à la conjoncture éditoriale, et ne sont que la pure juxtaposition de textes indépendants les uns des autres (pour autant que les textes d’un même auteur puissent être dits indépendants !), éventuellement reliés entre eux après coup par une ficelle quelquefois un peu grosse. C’est, par exemple, fréquemment le cas chez Maupassant, comme dans La Maison Tellier ou Les Contes de la bécasse. Il y a dans ce constat, il est vrai, quelque chose d’un peu décevant, et la tentation est forte, notamment pour la critique universitaire, de chercher (donc de trouver) une unité à tout prix, dans l’optique plus ou moins avouée d’ennoblir le genre en lui prêtant une ambition et en lui conférant une dimension qui, en somme, le rapprocheraient du roman (de même qu’un Balzac ou un Zola ont pensé magnifier leurs romans en les réunissant en une véritable cosmogonie littéraire). Au risque peut-être de lui faire perdre son identité.


CARACTÉRISTIQUES DE LA NOUVELLE

Toute tentative pour définir clairement, absolument et définitivement la nouvelle est vouée à l’échec. Faut-il pour autant renoncer à caractériser le genre ? Sans doute pas. Et les critères avancés généralement ne sont pas les moins pertinents, à condition de les nuancer par la variabilité commune, somme toute, à tous les genres.
Récit, la nouvelle l’est bel et bien dans sa forme sinon canonique (puisqu’elle n’existe pas) du moins traditionnelle. Elle peut même être considérée à certains égards comme une sorte d’« archi-récit », dans la mesure où, longtemps, la concentration et l’économie inhérentes au genre ont eu tendance à évacuer ou réduire considérablement toute la dimension non strictement narrative (descriptive, psychologique), ou, peut-être plus précisément, à « narrativiser » ce non-narratif (voir « Repères »). Cette tendance, il est vrai, s’est infléchie, parfois même inversée, dès la fin du XIXe et au cours du XXe siècle. Mais précisément, et comme pour confirmer le caractère irréductiblement narratif de la nouvelle, on notera que l’appellation officielle de nouvelle a été alors souvent abandonnée. La narrativité paraît donc bien consubstantielle à la nouvelle.
Quoi qu’on ait pu en dire, la notion de brièveté demeure également indispensable pour appréhender la nouvelle. À cet égard, le mot anglais short story (comme l’allemand Kurzgeschichte) a le mérite de la clarté. Il serait naturellement absurde de fixer arbitrairement un nombre de pages au-delà ou en deçà duquel on ne pourrait plus parler de nouvelle. Reste qu’il ne viendrait à l’idée de personne, aujourd’hui du moins (on cite le cas, étrange à dire vrai, et peu significatif, de Stendhal à propos de La Chartreuse de Parme !), de nommer nouvelle un récit de 300 pages, et lorsque Félix Fénéon use du terme pour désigner ses comptes rendus de faits divers en trois lignes, il juge bon de les intituler, justement, Nouvelles en trois lignes : la précision même suggère que l’association ne va pas de soi.
La relativité de la notion de brièveté n’apparaît donc pas comme une objection majeure à sa pertinence. En réalité, ce critère présente surtout l’inconvénient de renvoyer à un mètre étalon qui ne peut guère être que le roman. Définir la nouvelle comme un récit bref, c’est, dira-t-on, la soumettre de nouveau à l’autorité du genre majeur dont on s’efforce précisément de l’émanciper.
Mais faut-il nier l’évidence ? Cette autorité existe bel et bien, en tout cas elle s’est imposée au fil des siècles (ce qui ne préjuge en rien de l’avenir ; qui dit qu’on ne définira pas un jour le roman comme un récit long ?). Mais le choix d’écrire des nouvelles est probablement autant un choix « contre » que « pour », et cette dimension critique, en particulier à l’égard du roman, ne doit pas être sous-estimée.
Encore faut-il ajouter qu’une fois posée cette brièveté, tout reste à dire sur la façon dont elle se traduit dans la mise en œuvre du récit.
Question épineuse que celle des rapports de la nouvelle au réel. Autant la narrativité et la brièveté apparaissent, au total, comme des critères assez fiables, autant le réalisme (ou même la simple vraisemblance) semble poser plus de questions qu’il n’en résout. Cependant, si l’on accepte de raisonner à partir de grandes tendances, et par comparaison avec d’autres genres, force est de constater que la nouvelle a bien manifesté, dès l’origine (fidèle en cela à l’esprit du fabliau médiéval), une prédilection pour des histoires, des thèmes, des personnages renvoyant à la réalité quotidienne et populaire. Et c’est bien par là que, à l’âge classique, elle se distinguera le plus nettement du conte. Par la suite, dès la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, les choses semblent se compliquer. Semblent seulement. Les deux tendances principales du genre – le réalisme et le fantastique – ne sont en effet pas si antagonistes qu’il y paraît. À la différence du surnaturel merveilleux, le surnaturel fantastique fait irruption dans le réel, d’où son caractère angoissant. L’écrivain fantastique se doit donc d’être aussi (d’abord ?) un écrivain réaliste, comme l’illustrent un Balzac ou un Maupassant. Bien plus : non seulement le fantastique n’a nullement coupé les ponts avec la réalité, avec laquelle il forme un couple indissociable, mais il peut même, à bon droit, être considéré comme une exploration plus profonde, plus complexe, plus phénoménologique d’une réalité extérieure certes problématique, inquiétante parce qu’incertaine, reflet angoissant d’une réalité intérieure devenue énigmatique, insaisissable, mais non moins réelle que la plate et apparemment avérée réalité. Ainsi, par exemple, envisagé sous l’angle de l’étude de la folie (de certaines formes de folie), quoi de plus réaliste que Le Horla ou Docteur Jekyll et Mister Hyde ? Il n’est donc pas abusif de tenir le fantastique pour un avatar du réalisme, dont les liens avec la nouvelle, loin d’être contredits, se trouveraient là en somme plutôt confirmés.

La réception de la nouvelle C’est dans les années 70 qu’est née et s’est développée, dans le domaine de la recherche littéraire, ce qu’on appelle la théorie de la réception. Soucieuse d’échapper à la fois à la conception idéaliste d’une œuvre autonome, pure création de l’artiste, et au matérialisme un peu mécanique d’une œuvre-reflet, réduite à ses déterminations socio-économiques, l’esthétique de la réception privilégie la relation entre l’œuvre et son public : ainsi, si l’auteur aborde des thèmes et construit une forme propres à susciter un mode de lecture particulier, le lecteur, de son côté, par ses horizons d’attente, variables selon les milieux et les époques, détermine ou infléchit les choix thématiques et formels de l’auteur.
En ce qui concerne la nouvelle, ce pacte tacite repose sur trois points essentiels :

      –  brièveté et unité du récit : celui-ci doit pouvoir, à la différence du roman, être lu d’une seule traite ; ainsi surplombée, saisie dans sa globalité, la nouvelle offre au lecteur la possibilité non seulement de sa parfaite mémorisation, mais même de sa relecture aisée ;

      –  le tropisme de la fin : en dépit des évolutions, la chute, la clausule, continuent d’orienter, consciemment ou inconsciemment, la lecture de la nouvelle ; d’où, entre autres, une attention particulière à toutes les amorces, tous les indices susceptibles d’annoncer cette fin, dont le lecteur attend et espère l’effet ;

      –  la voix du conteur : la nouvelle a conservé de son origine une tonalité volontiers orale, le narrateur s’adressant souvent directement au lecteur. Ce procédé introduit entre celui-ci et l’œuvre une distance qui, loin de le frustrer, contribue en principe à son plaisir, d’ordre souvent plus intellectuel que véritablement sensible ou émotionnel.

Ajoutons que l’esthétique de la réception peut se muer, à l’occasion, en esthétique de la déception : l’auteur est en effet toujours libre de frustrer le lecteur en dérangeant ses horizons d’attente !


ESTHÉTIQUE ET ÉTHIQUE DE LA NOUVELLE

Pourquoi, au total, écrire et lire des nouvelles ? Besoin d’argent ou manque de souffle d’auteurs exsangues ? Tentation de la facilité ou sentiment d’urgence de lecteurs pressés ? Ces motivations contingentes et triviales ne doivent pas être négligées. On ne saurait pourtant s’en satisfaire. Tout porte à croire que l’amateur de nouvelles (d’une expression qui associe heureusement auteur et lecteur, et convient bien au genre) trouve dans cette forme littéraire la satisfaction d’un goût qui, consciemment ou pas, renvoie à une esthétique, et sans doute une éthique. Écrire et lire des nouvelles, c’est avant tout faire le choix de la légèreté et de la suggestion. En optant pour la narrativité, voire l’anecdote, le nouvelliste refuse l’emphase un peu mystique du poète ; en privilégiant la brièveté, la concentration et l’ellipse, il récuse la logorrhée impérialiste du romancier. Art de l’esquive, la nouvelle est le genre de la distance par excellence. En elle, nulle dramatisation de l’acte d’écrire. Moins œuvre que produit artisanal, elle est le fait de l’écrivain-bricoleur plus que de l’artiste-voyant. Ici règnent le dilettantisme courtois, l’humour parfois tragique mais jamais grave, et cet air de ne pas y toucher qui est comme un signe de ralliement pour happy few, la marque de fabrique d’un genre qui, plutôt que d’aspirer à être reconnu comme majeur, aurait tout à gagner à s’assumer résolument comme mineur. Art poétique, donc, et au-delà, véritable sagesse peut-être, que résume en somme ce célèbre programme : « Small is beautiful ! »

© SCÉRÉN - CNDP
Créé en mai 1999  - Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, privé ou scolaire.

Le traitement narratif

Les éléments constitutifs de la nouvelle.


Voici les points forts du récit court qu’est la nouvelle.
On notera toutes les différences avec le roman.


L’ACTION

Dans sa forme traditionnelle, la nouvelle rapporte une action relativement simple, caractérisée à la fois par son unicité et son unité. L’accent est mis sur l’anecdote, qui se doit en principe d’être frappante, hors du commun. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la nouvelle a si souvent trouvé dans le genre fantastique son univers de prédilection. Débarrassé de tous ses aspects non strictement narratifs (dialogues, descriptions, commentaires) ou périphériques par rapport à l’intrigue (intrigues secondaires, études sociales, considérations théoriques), le récit se concentre sur l’essentiel : le chemin, souvent rectiligne, qui mène, par une ou plusieurs transformations, d’une situation initiale à une situation finale. Cependant, parallèlement à cette nouvelle dynamique, essentiellement narrative, s’est constituée, principalement au XXe siècle, une nouvelle plus statique, plus descriptive, voire lyrique, dépourvue de toute véritable action, centrée sur un épisode apparemment banal et anodin, parfois même un non-événement, un rien, un instant comme suspendu hors du temps, mais lourd de sens en ce qu’il restitue, quelquefois dans son inanité même, quelque expérience intérieure tragique annoncée d’emblée ou révélée à la fin.

LA NARRATION

À cette unité d’action correspond généralement une unité de point de vue. On sait que la plurivocalité, la polyphonie caractérisent la narration romanesque. À l’inverse, dans la nouvelle, le point de vue est généralement unique, ne serait-ce que parce que le nombre de personnages y est plus limité et que la dimension collective de l’expérience rapportée y est moins marquée que dans le roman. Cette univocité est d’ailleurs à mettre en relation avec un autre trait récurrent du genre : la présence perceptible d’un conteur, instance narrative qui fait entendre sa voix, conférant au récit sa dimension orale, et établissant avec le lecteur une relation concrète, actualisée au sein du texte lui-même. Ainsi, dans le roman, le récit est tout de même majoritairement pris en charge par un narrateur au premier degré, hors de l’action. Dans la nouvelle, selon une fréquence proportionnellement beaucoup plus grande, l’on a affaire à un narrateur au second degré, comme dans Le Décaméron et toutes les nouvelles « encadrées » où un conteur raconte à un auditoire une ou plusieurs histoires dont il est ou n’est pas le protagoniste, ou à un narrateur à l’intérieur de l’histoire comme témoin, voire à l’intérieur de l’histoire comme héros.

LE PERSONNAGE

Le principe d’économie inhérent à la nouvelle interdit pratiquement la révélation progressive et/ou la transformation lente d’un personnage complexe, confronté au monde et aux autres. En ce sens, il paraît difficile de parler de nouvelle d’apprentissage comme on parle de roman d’apprentissage. Le personnage de la nouvelle est tantôt isolé (Le Horla), tantôt associé à un groupe restreint (Boule de suif), et donné d’un seul coup, par une caractérisation sociale, physique et psychologique dessinée à grands traits. En ce sens, il a tendance à se conformer, au départ du moins, à un archétype, voire à un stéréotype. S’il demeure souvent inchangé jusqu’à la fin, il arrive également que le récit relate précisément la crise au terme de laquelle sa métamorphose aura lieu à moins encore que celle-ci n’ait lieu dès le début (comme dans La Métamorphose de Kafka). Quoi qu’il en soit, le personnage de nouvelle n’a sans doute pas l’épaisseur du personnage de roman. Mais, loin d’être un manque, cette évanescence fait au contraire sa particularité et son intérêt : en elle réside en effet une part de son mystère, dont on ne s’étonnera pas, là encore, que le fantastique ait pu tirer profit.

LE TEMPS

L’on ne saurait affirmer que la brièveté matérielle de la nouvelle a pour inévitable corollaire la brièveté de l’histoire qu’elle raconte : certaines nouvelles (de Marcel Schwob ou Borges par exemple) survolent en effet une existence entière. Mais il s’agit là de contre-exemples assez marginaux, plutôt récents, et qui, d’ailleurs, exigent ellipses et schématisation. Le plus souvent, le temps de l’histoire est relativement court, sans qu’il soit guère possible d’aller plus loin dans la délimitation de cette durée moyenne, jusqu’au cas extrême de la nouvelle-instant, qui s’attache à un fragment de temps si éphémère et fugitif qu’il en paraît même comme extrait, figé, hors de toute temporalité. D’une façon générale, alors que le roman donne au lecteur le sentiment du temps qui passe, d’une lente transformation des êtres et des choses, la nouvelle, elle, viserait plutôt à fixer un événement à la fois fugace et fondateur, ou au moins un moment de crise, dont les tenants et aboutissants sont, par la force des choses, laissés sous silence ou simplement suggérés. Dès lors, le sentiment illusoire, qu’éprouve souvent le lecteur de roman, d’une coïncidence entre le temps du récit et le temps de l’histoire, illusion que seule la durée peut produire, tend ici à disparaître.

L’ESPACE

Ce qui vaut pour le temps vaut également pour l’espace. Si ancré soit-il dans une réalité historique et sociale, l’espace romanesque constitue généralement un monde complexe, stratifié protéiforme. En comparaison, l’espace de la nouvelle apparaît comme un fragment isolé. Les lieux y sont restreints, par leur nombre et par leur configuration. On a d’ailleurs souvent noté leur caractère conventionnel : lieux clos, espaces publics, décors connus, immédiatement identifiables (nul besoin de les décrire longuement), mais également propices par leur disposition ou leur fonction, à la mise en place du dispositif narratif (lieux de rencontre par exemple), et éventuellement symboliques de la situation ou du personnage. Dans la nouvelle moderne, la nouvelle-instant dont il a été question précédemment, la dimension spatiale a d’ailleurs tendance à prendre le pas sur la dimension temporelle : ainsi la nouvelle se transforme-t-elle insidieusement en poème en prose, et le récit de l’expérience en description du paysage intérieur.

LE DÉBUT

L’incipit de la nouvelle se distingue assez fréquemment de celui du roman. Rapidité et concentration y font naturellement loi, au point que tout y est parfois donné d’un trait. D’ailleurs, contrairement au roman, dans la nouvelle l’intérêt du lecteur repose rarement sur ce qu’il est convenu d’appeler le suspense. Il s’agit plutôt de suivre le fonctionnement, attendu ou inattendu, d’un mécanisme enclenché dès la première page, parfois même dès la première phrase. On parle volontiers, à propos des nouvelles, de fins ouvertes et de fins fermées (voir paragraphe suivant). Mais cela vaut également pour les débuts. Tantôt le récit commence, si l’on peut dire, au commencement de l’action proprement dite, et sans remonter très loin dans le temps, mais en résumant éventuellement d’une phrase tout ce qui a précédé, tantôt in medias res, et quelquefois non sans une certaine brutalité : ainsi l’effet de surprise joue-t-il souvent à plein dès les premiers mots du récit.

LA FIN

Selon Frédéric Deloffre, « toute nouvelle est conçue en fonction du dénouement » : sans être une règle absolue, il faut reconnaître que la fin joue, dans la nouvelle traditionnelle, un rôle privilégié. C’est d’ailleurs ce qui a pu faire reprocher au genre son caractère quelque peu rhétorique, artificiel, voire mécanique. Les auteurs de nouvelles prennent en effet souvent soin de forclore le récit, comme s’il s’agissait peut-être de compenser sa brièveté par sa perfection formelle. Ainsi la nouvelle se présente-t-elle fréquemment comme un « petit tout » clos sur lui-même, parfaitement achevé. On notera ainsi la fréquence de la clausule, ou de la chute, pointes conclusives brutales et surprenantes, qui rompent si soudainement avec ce qui précède qu’elles peuvent même aller parfois jusqu’à en changer le sens et appeler à sa relecture et sa réinterprétation. Il existe cependant nombre de nouvelles, là encore surtout au XXe siècle, qui se refusent à jouer le jeu un peu mondain de la clausule, et optent au contraire pour l’inachèvement, l’ouverture, sans d’ailleurs que l’effet de surprise en soit forcément atténué.

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